Madame la Présidente, vous venez d’être élue, le 27 juin 2025, à la tête de la Conseil interrégional des notaires d’Alsace-Moselle pour un mandat de deux ans. Notaire associée à Thionville, vous êtes engagée de longue date en faveur d’un notariat moderne et accessible. Vous succédez à maître Éric Ricou, dans un contexte de profonde transformation de la profession, portée par les mutations numériques et sociétales.
Quel regard portez-vous sur cette élection et la responsabilité qu’elle implique ?
Cette élection m’engage pleinement, notamment en raison des chantiers lancés par mon prédécesseur, qui a accompli un travail remarquable. Il est de ma responsabilité de poursuivre cette dynamique, à tous les niveaux où elle a été amorcée. C’est à la fois une exigence et une priorité : celle de servir notre profession, nos confrères et, bien entendu, nos clients.
Qu’est-ce qui a motivé votre engagement à la présidence ?
J’ai déjà eu l’honneur de présider la chambre des notaires de la Moselle, ce qui m’a permis de mesurer combien il est essentiel de s’impliquer pour faire évoluer notre métier. Ç’est ma façon de rendre un peu. Contribuer à la vie de la profession, participer aux réflexions stratégiques et accompagner son développement et sa reconnaissance sont autant de raisons qui ont guidé mon engagement.
Concrètement, quels sont les axes de travail de votre mandat ?
Mon mandat débute à peine, mais je m’inscris dans la continuité des projets déjà amorcés par mon prédécesseur maître Éric Ricou autour de la modernisation et de la digitalisation de notre profession. Le notariat a su prendre un tournant technologique décisif, notamment depuis la crise sanitaire. Aujourd’hui, la quasi-totalité des actes sont signés électroniquement, ce qui nous confère une avance certaine.
Un nouveau défi se présente désormais : celui de l’intelligence artificielle. Il nous appartient d’accompagner nos confrères dans leur formation, d’identifier les modes d’intégration pertinents de ces technologies à nos pratiques, et surtout, d’utiliser l’IA comme un outil, au service de notre mission de conseil qui est le cœur de notre métier.
Par ailleurs, nous devons valoriser l’implication des jeunes notaires. Leur regard neuf et leur maîtrise des outils numériques sont des atouts précieux. L’objectif est de favoriser leur émergence au sein de nos instances et de soutenir leur installation au sein des offices existants.
Quels sont, selon vous, les principaux défis pour rendre le notariat plus accessible, et comment impliquer les notaires d’Alsace-Moselle dans cette dynamique ?
Nous impliquons activement les jeunes confrères au sein de nos instances. Ils interviennent sur des sujets variés : formation à l’intelligence artificielle, transformation numérique, vie professionnelle, accessibilité du notariat. Donc en les associant, nous comptons bien conserver cet aspect moderne et vivifiant de notre profession.
En quoi le droit local est-il, selon vous, un atout pour le territoire et les citoyens, et quels leviers permettraient de mieux le faire connaître ?
Mon prédécesseur a œuvré activement à la valorisation du droit local, notamment à travers un congrès majeur qui en a souligné la modernité. Il faut rappeler que notre droit local est déjà tourné vers l’avenir, tant par ses matières spécifiques que par les missions confiées aux notaires en Alsace-Moselle.
Nous sommes par exemple délégués du tribunal dans le cadre du partage judiciaire, une mission innovante qui suscite l’intérêt au niveau national. Notre système de publicité foncière via le livre foncier est d’une efficacité reconnue, tout comme l’organisation des saisies immobilières.
Un autre point fondamental concerne l’accès à la profession : dans nos trois départements, il n’existe pas de transmission patrimoniale des offices. L’entrée dans le notariat se fait par concours, selon le mérite. C’est une garantie d’égalité des chances que nous devons préserver et promouvoir.
Quels sont les enjeux liés à ce dispositif ?
L’un des enjeux majeurs est de faire reconnaître la spécificité de notre modèle, fondé sur la non-patrimonialité des offices, et de l’inscrire pleinement dans l’architecture juridique nationale. Des échanges ont eu lieu avec la chancellerie et les instances notariales pour soutenir la création de nouveaux offices dans notre région, tout en maintenant ce système d’accès fondé sur la méritocratie.
Pouvez-vous développer sur la question de l’égalité des chances que vous associez au concours ?
Le concours de droit local est ouvert à tous les diplômés notaires. L’accès à la profession dépend des résultats à cet examen. Ce mode de sélection me semble profondément juste. D’ailleurs, cette logique de non-vénalité à l’installation se retrouve dans de nombreux pays européens.
Quelle est votre avis sur le sujet de l’IA ? Comment rassurer les notaires et leurs clients ?
Le notariat a toujours su s’adapter aux évolutions technologiques, et c’est une véritable force. L’intelligence artificielle doit être perçue comme un outil. Elle peut faciliter les tâches administratives, les recherches, l’organisation du travail…mais elle ne remplacera jamais le conseil, qui est le cœur de notre métier.
Le lien humain, l’écoute, l’accompagnement personnalisé : voilà ce que l’IA ne saura jamais restituer. En nous formant à ces outils, nous devons surtout renforcer notre valeur ajoutée, centrée sur la proximité et l’expertise.
Quelles actions concrètes envisagez-vous dans ce domaine ?
La formation est essentielle. Elle est d’ailleurs une obligation pour les notaires, et nous veillerons à ce que chacun puisse se former aux enjeux du numérique et de l’IA. Ces thématiques sont déjà au cœur des priorités du Conseil supérieur du notariat, sous l’impulsion de Maître Bertrand Savouré. Nous nous inscrirons pleinement dans cette dynamique au niveau de nos trois départements.
Vous portez également un projet de création d’une instance unique, regroupant le conseil interrégional et les chambres départementales. Quels bénéfices en attendez-vous en termes d’efficacité et de proximité ?
Ce projet vise à professionnaliser davantage le service rendu aux notaires et, indirectement, à nos clients. Il s’agit de mieux structurer nos missions, avec des compétences spécifiques au sein de l’instance, pour une plus grande efficacité.
Cette réforme a fait l’objet d’une longue réflexion, amorcée bien avant la crise sanitaire. Nos trois départements ont des identités fortes, ce qui rendait l’unification délicate au départ. Mais le projet a évolué, et il a désormais été adopté par les chambres et le Conseil interrégional.
La particularité de cette nouvelle organisation est de maintenir des antennes dans chaque territoire, avec des équipes permanentes. Les sujets seront pilotés de manière transversale, tout en respectant l’ancrage local.
Ce projet a-t-il fait débat dans la profession ?
Oui, bien sûr. Au départ, le modèle envisagé était plus classique. Il a fallu du temps et de nombreuses discussions pour construire un projet original, respectueux des spécificités territoriales, mais répondant aussi aux besoins actuels de la profession. Aujourd’hui, cette nouvelle structure nous semble indispensable pour accompagner les notaires dans l’ensemble de leurs missions.
Comment garantir la proximité avec les notaires dans ce nouveau cadre ?
Le lien de proximité reste essentiel. La chambre interdépartementale sera dirigée par un président, assisté de vice-présidents issus de chaque territoire. De nombreux sujets sont déjà traités de manière mutualisée depuis 2020, et cela fonctionne bien. Notre ambition est de garantir une représentation équilibrée et une écoute attentive des spécificités locales.
Si vous deviez résumer en une phrase l’orientation que vous souhaitez donner à votre mandat ?
Mon ambition est de promouvoir la modernité du notariat, et en particulier celle de notre notariat local, tout en restant fidèle à nos valeurs de service public et de proximité avec les citoyens.
Quel message souhaitez-vous adresser aux citoyens et aux notaires d’Alsace-Moselle ?
Nous mettrons toute notre énergie à faire du notariat un outil toujours plus performant au service de nos confrères, et à valoriser une profession profondément ancrée dans les valeurs de justice et de solidarité, particulièrement en Alsace-Moselle.
Christian-Olivier Kajabika
Rédaction du Village des Notaires et du Patrimoine