La complexité des milieux urbanisés, leur densité, amène parfois à des ensembles immobiliers pour le moins alambiqués.
De ce fait, il n’est pas rare de constater dans certains immeubles la présence de terrains encastrés, de cours, de passages, de terrasses… dont seul un nombre limité de propriétaires peut avoir accès.
De telle manière que leur jouissance est quasi privative.
Pour illustrer ce propos, il possible de citer l’exemple d’une partie de jardin d’un immeuble, accessible uniquement par l’occupant du logement du rez-de-chaussée.
Ce propriétaire bénéficie d’un droit de jouissance sur cette partie de jardin qu’il exploite par ailleurs en y ayant installé des tables, des chaises et même un cabanon.
À tel point que pour l’ensemble des autres résidents, cette partie est devenue, de l’usage commun de tous, sa propriété.
Pourtant, en dépit de son accès est restreint et de sa jouissance exclusive, il s’agit bien ici d’une partie commune.
Le droit de jouissance exclusif sur une partie commune : longtemps une notion prétorienne
La notion de partie commune a jouissance privative est restée longtemps une notion seulement prétorienne.
Cela signifie que la Loi du 10 juillet 1965 ne faisait pas mention de ce concept dont la définition ne s’est faite que par le biais de jurisprudences éparses et empiriques.
Le caractère peu prolixe du législateur à s’y intéresser a par ailleurs été source de contentieux.
Aussi, comment cette notion a-t-elle été interprétée par les Tribunaux ?
- La partie commune à jouissance privative ne peut pas résulter d’un acte de propriété privé ;
De ce fait, la jurisprudence a toujours considéré qu’il importait finalement peu que l’acte de propriété mentionne ou non la dépendance à jouissance privative, cette dernière ne pouvant trouver sa source que dans le Règlement de copropriété de l’immeuble [1] ou dans une décision d’assemblée générale [2].
Cette affirmation a une conséquence significative qui est, qu’a contrario, il est impossible de revendiquer une jouissance exclusive du seul fait de sa mention dans l’acte de propriété.
Cette appropriation doit résulter du Règlement de copropriété ou d’une décision d’assemblée générale.
La jurisprudence a tout de même admis une entorse à cette condition primordiale : la prescription acquisitive.
En tout état de cause, la possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque ouvre un droit de revendiquer un droit de jouissance privatif sur une partie commune [3].
Ce n’est en revanche pas un moyen d’acquisition de ladite partie !
- Le droit de jouissance n’est pas un droit de propriété ;
Effectivement, si le droit de jouissance d’une partie commune implique une exclusivité d’usage par le propriétaire du lot affecté [4], il ne s’agit aucunement d’une appropriation de la parcelle.
Ce droit peut par ailleurs être temporaire et la partie concernée demeure la propriété du Syndicat des copropriétaires.
C’est ce qu’a formalisée la Cour de cassation au terme d’un arrêt de principe du 6 juin 2007, en déclarant : « qu’un droit de jouissance exclusif sur des parties communes n’est pas un droit de propriété et ne peut constituer la partie privative d’un lot » [5].
- Le droit de jouissance confère un droit réel ;
C’est ici tout l’abstraction du démembrement du droit de propriété : le droit de jouissance exclusif sur une partie commune ne confère pas la pleine propriété mais bien un usufruit sur la parcelle commune.
La Cour d’appel suivie par la Cour de Cassation ont rappelé que « les lots des copropriétaires étaient composés du droit à la jouissance exclusive et privative d’une parcelle de terrain sur lesquels est implantée chaque maison et la propriété privative des constructions ainsi que des millièmes de parties communes, la cour d’appel a retenu, à bon droit et sans dénaturation, que seul un droit réel de jouissance était conféré aux copropriétaires et que le sol était une partie commune ; (...) » [6].
Cette affirmation implique deux lectures.
Celle positive qui donne un véritable droit d’usage au copropriétaire concerné, puis, celle négative, qui rappelle que le sol demeure partie commune.
Le cas échéant, le titulaire du droit de jouissance exclusif ne peut en aucun cas effectuer des actes de disposition ou d’aliénation sur la partie commune et sera soumis, pour ce faire, à l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaire.
- La partie commune a jouissance privative est l’accessoire d’un lot privatif ?
C’est certainement le point d’achoppement qui a contraint le législateur à codifier cette notion prétorienne.
Pendant longtemps, la jurisprudence ne permettait pas de trancher sur les lots de copropriété dont une partie était grevée d’un droit de jouissance privatif.
Or, lors de l’arrêt du 8 octobre 2008, au terme duquel il a été affirmé qu’« un droit de jouissance exclusif sur des parties communes n’est pas un droit de propriété et ne peut constituer la partie privative d’un lot » [7], la Cour de cassation a excipé une anomalie qui a provoqué un vide juridique sur les nombreuses situations concernées.
Un texte s’imposait.
Le doit de jouissance exclusif sur une partie commune : consécration par la loi Elan du 23 novembre 2018
Au terme de cette loi [8], complétée par l’ordonnance du 30 octobre 2019 (n°2019-1101), a été ajouté à la Loi du 10 juillet 1965 un article 6-3, comme suit :
« Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité exclusifs d’un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires.
Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot.
Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte. »
Ce texte confirme tout d’abord le caractère commun de ces parties spéciales qui n’appartiennent pas au copropriétaire concerné mais bien au Syndicat des copropriétaires.
Ensuite, le législateur a suivi la jurisprudence et spécifié que la partie commune à jouissance privative est affectée à un lot et grevée de tantièmes.
De ce fait, les parties privatives de lots, à caractère autonome, ne répondent plus à ce critère et devront être considérées comme des parties communes spéciales, propriétés indivises, tel que défini à l’article 6-2 de la Loi du 10 juillet 1965.
Enfin, pour l’avenir, l’alinéa 3 de l’article 6-3 est bien une injonction faite aux Copropriétés de rationaliser leur Règlement et Etat descriptif de division et de définir précisément le régime juridique affecté à ces parties, en y attribuant des tantièmes spécifiques.
En réalité, le législateur appelle depuis plusieurs années à la refonte des Règlement de copropriété.
Dans ce cas, l’intervention d’un Géomètre Expert et d’un notaire ou d’un avocat semble primordial.
Notes :
[1] Cass. Civ.3ème, 21 juin 2006, n°05-14.441.
[2] Cass. Civ.3ème, 16 octobre 1979.
[3] Cass. Civ.3ème, 24 octobre 2007, n°06-19260.
[4] Cass Civ.3ème, 18 janvier 2018, n°16-16.950.
[5] Cass. 3ème Civ., 6 juin 2007, n°06-13.477.
[6] Cass. Civ.3ème, 2 octobre 2013, n°12-17.084.
[7] Cass. Civ.3ème, 8 octobre 2008, n°07-16.540.
[8] Loi du 23 novembre 2018, n°2018-1021.
Charles Dulac
Avocat