Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la médiation notariale ?
Marc Girard : Le premier type de médiation proposé par le notariat est la médiation de la consommation. C’est l’option offerte aux clients de recourir à la médiation lorsque les services du notaire ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. À cette occasion, je tiens à rappeler que cette médiation est entièrement gratuite pour les clients. Dans ce type de litiges, le médiateur de la consommation engage vivement le notaire concerné à agir dans les délais impartis. Notre code de déontologie précise qu’un notaire qui ne répond pas à un médiateur de consommation s’expose à des pénalités financières.
Au cours des dernières années, nous observons une tendance à la baisse du nombre de recours au médiateur de la consommation. Personnellement, je considère cette évolution comme favorable et je l’attribue à la progression continue de la communication des confrères envers leurs clients. Effectivement, près de 90 % des conflits liés à la médiation de consommation concernent la forme plutôt que le fond des dossiers. Il est clair que dans ce domaine et pour améliorer notre service, l’accent doit être mis sur la communication.
Ensuite, vous avez la médiation conventionnelle qui, selon moi, est le volet le plus important. La médiation conventionnelle, de quoi s’agit-il ? Nous nous situons ici véritablement dans l’anticipation de la résolution des litiges. L’objectif de la médiation conventionnelle est d’éviter, autant que faire se peut, de recourir à la procédure judiciaire. En effet, cette dernière procédure acte la « rupture » entre les parties puisqu’à ce stade, la communication et les contacts interpersonnels rationnels cessent définitivement. En outre, je rappelle qu’une procédure judiciaire peut se révéler longue et coûteuse, sans aucune assurance de réussite.
Le Centre de médiation du Conseil supérieur du notariat existe depuis cinq ans. Nous comptons actuellement une trentaine de centres de médiation en France, avec environ trois cents médiateurs notaires. Je suis actuellement Président du centre de médiation de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence. Pour un client, le processus de saisine est très facile : il lui suffit d’entrer en relation avec le centre de médiation régional situé dans son département de résidence et de solliciter l’aide d’un médiateur notaire qui, à coup sûr, saura trouver une issue au différend.
Pour conclure, le dernier volet de la médiation est la médiation judiciaire, celle qui est la plus connue et la plus couverte par les médias. Avec la réforme initiée par notre ancien Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, il n’est plus possible aujourd’hui pour un justiciable de faire appel à la Justice sans avoir d’abord recours à la médiation.
Il y a deux ans, j’ai coécrit avec Renaud Le Breton de Vannoise, le premier président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, également ambassadeur de l’amiable, en collaboration avec les magistrats et avocats de la Cour d’appel la première charte judiciaire dédiée à la médiation. Je me félicite que les magistrats se soient rapidement positionnés en faveur de la réforme et soutiennent le développement de la médiation judiciaire. Il ne vous échappe pas que les tribunaux sont actuellement passablement surchargés…
Quant aux avocats, un peu réticents lorsque la réforme est passée, ils constatent aussi les bénéfices tangibles pour leur activité lorsqu’ils décident de s’orienter vers la médiation judiciaire.
La médiation judiciaire est donc en plein essor et promise à un bel avenir. Pour illustrer mon propos, nous avons actuellement plus de deux cents dossiers traités par an par le centre de médiation à la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence. En grande partie, il convient aussi de préciser que la médiation judiciaire se concentre principalement sur le droit de la famille, qui constitue le cœur de l’activité de notre profession.
Les enjeux de la médiation pour le notariat sont donc importants. Pouvez-vous les préciser ?
M. G. : En effet, le développement de la médiation représente un défi majeur pour l’avenir de la profession. Jusqu’à aujourd’hui, malgré son statut d’officier public, le notaire était généralement considéré comme un acteur du monde du commerce, avec le poids important de l’activité immobilière. L’image du notaire en tant que médiateur est quant à elle très distincte puisqu’elle évoque un acteur altruiste, qui s’inscrit dans une démarche désintéressée et qui se positionne clairement en proximité avec ses clients. Cette nouvelle casquette de l’officier public est selon moi grandement appréciable, car elle met en avant un notaire avant tout à l’écoute, et, selon moi, elle véhicule une image particulièrement positive de notre métier.
Si on se place maintenant dans une optique interprofessionnelle, je pense que dans le domaine de la médiation, les notaires ne sont pas encore suffisamment en lien avec la magistrature. L’évolution actuelle de la médiation nous rapproche tout naturellement des avocats, ce qui modifie aussi nos modes de collaboration en les approfondissant.
La médiation judiciaire représente donc clairement une nouvelle opportunité pour le notariat, surtout si elle fédère la communauté des spécialistes du droit. Pour les praticiens du Droit, il est essentiel de prévoir en amont les modes de résolution des conflits. Si les avocats, les notaires et les magistrats collaborent étroitement et adoptent le réflexe de se mettre systématiquement en relation les uns avec les autres, ce sera un progrès considérable pour les clients et pour l’amélioration des relations interpersonnelles.
Pour ma part, je travaille actuellement dans ma Cour d’Appel au développement de l’interprofessionnalité dans la médiation. Nous prévoyons bientôt des sessions de formation en médiation judiciaire conjointes pour les notaires, les avocats et les magistrats afin d’instaurer de nouvelles habitudes de travail et d’identifier de nouvelles pistes pour intensifier demain notre collaboration.
Actuellement, le taux de réussite de la médiation judiciaire est actuellement de 50 %, ce qui pour moi est une très bonne statistique. Il existe bien sûr des marges supplémentaires de progression.
La problématique budgétaire est effectivement importante tant pour la profession que pour les pouvoirs publics. Ainsi, la médiation de la consommation est gratuite, ce qui signifie que le temps passé par le notaire à traiter le litige n’est pas rémunéré. La médiation judiciaire, quant à elle, est rémunérée par des tarifs fixés par les tribunaux et à défaut par les centres de médiation. Ainsi, le notaire pourra être rémunéré 800 euros hors taxes pour une matinée de médiation.
La médiation est devenue une priorité des pouvoirs publics, par conséquent son modèle économique va nécessairement évoluer et les tarifs de la médiation devraient augmenter progressivement. Aujourd’hui, je vous rappelle qu’une personne qui s’engage dans une procédure judiciaire sur plusieurs années doit s’attendre à payer plusieurs milliers d’euros de frais.
En ce qui concerne la médiation, il ne s’agit pas d’une simple facturation de services. Quand le confrère donne de son temps et que sa réputation est avérée, vous savez, il y a beaucoup de gens qui vont venir le voir pour d’autres dossiers, notamment immobiliers. Ainsi, l’effet boomerang d’une médiation réussie peut rapidement générer de nouveaux flux de dossiers. Enfin, à titre personnel, quoi de plus beau que de jouir d’une bonne réputation et d’une moralité exemplaire ? Voilà selon moi, une des motivations à s’engager plus avant dans la médiation.
Ainsi, il me semble important de ne pas se limiter uniquement à l’intérêt économique à court terme. En tant qu’entrepreneur, il faut toujours avoir une vision à long terme.
Au vu des difficultés économiques rencontrées par les études ces dernières années, je voulais aussi signaler l’apparition d’un nouveau phénomène, la mésentente entre associés.
Il s’agit même d’une explosion de ce type de litiges qui nécessite la mise en œuvre de procédures de médiation spécifiques. Il y a deux ans, j’étais responsable d’une commission au Conseil supérieur du notariat, qui devait faire des propositions pour faire évoluer la cellule de mésentente entre associés. Nous avons travaillé main dans la main avec l’Association des notaires du conseil (ANC) pour anticiper la résolution de ce type de litiges. Nous avons ainsi préconisé de généraliser chez les confrères la rédaction de pactes d’associés.
Comment devient-on médiateur notaire ?
M.G. : Les étudiants en licence doivent suivre et valider des modules spécifiques de médiation qui sont inscrits dans leur cursus. Pour ma part, je donne régulièrement des cours aux étudiants de la faculté de droit d’Aix. De mon point de vue, la formation en médiation notariale doit être envisagée le plus en amont possible. Plus les réflexes sont pris tôt, plus ils seront enracinés dans la future pratique professionnelle.
Pour les confrères souhaitant se diversifier et pratiquer la médiation, Une charte a été élaborée par le Conseil supérieur du notariat. Les formations sont proposées aussi bien à Paris qu’en province au plus près des besoins.
Pour exercer, le confrère doit suivre un certificat de médiation et réussir à l’examen final. La formation s’articule en deux parties et sa durée totale atteint cent-cinq heures. Après la formation, il est prévu un troisième socle de perfectionnement réparti sur six journées de sept heures, soit 42 heures de formation au total afin de joindre théorie et pratique. La formation est très complète mais elle n’est pas suffisante à elle seule. L’expérience pratique de la médiation est évidemment incontournable. Enfin, après la formation, le confrère doit s’inscrire sur la liste des médiateurs de sa Cour d’appel.
Je milite aussi activement en faveur du développement de la mise en situation des étudiants sur des cas concrets. Ainsi, les étudiants acquièrent une expérience précieuse de la pratique professionnelle de la médiation et peuvent par la suite se préparer à devenir eux-mêmes médiateurs. Pour illustrer mon propos, je continue à délivrer des formations complémentaires chaque année sur la manière de gérer des situations hautement conflictuelles dans le but de parvenir à apaiser les relations interpersonnelles.
En médiation, l’amélioration continue des pratiques professionnelles est indispensable. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer sur nos lauriers. Ainsi, nos obligations de formation continue prévoient une mise à jour régulière des connaissances. Il est ainsi prévu un minimum de deux jours de formation annuelle, ce qui correspond au suivi effectif et à la validation de quatorze heures de formation.
Je suis également impliqué dans de nombreuses activités de co-médiation. Cette démarche rassure les confrères déjà formés à la médiation et leur offre l’opportunité de parfaire leur pratique. Elle donne aussi la chance aux nouveaux confrères qui n’ont pas encore suivi le cursus de formation en médiation de commencer à l’appliquer concrètement sur le terrain. La co-médiation, c’est une méthode de travail qui facilite le règlement du litige. En effet, l’écoute attentive des parties est plus simple à deux et cela permet aussi de rebondir lorsque l’un des confrères n’arrive pas à trouver rapidement la solution.
Selon vous, quelles sont les qualités d’un bon médiateur notaire ?
M.G. : Tout d’abord, que signifie la démarche de médiation ? Il s’agit principalement d’une approche qui se situe dans le respect permanent de la confidentialité des échanges. Vous noterez que pour le notaire, la confidentialité est déjà une notion qui lui est familière.
La médiation c’est aussi une écoute toujours attentive et empathique, car sans une telle écoute, on ne peut pas incarner efficacement le rôle de médiateur. Lors de la conduite des entretiens, il faut être vigilant avec son comportement et lutter contre la tentation de prendre l’ascendant sur ses interlocuteurs, en leur coupant la parole par exemple.
Ensuite, il est aussi essentiel de savoir quelles sont les options dont vous disposez lorsque les entretiens de médiation ne se déroulent pas comme prévu. Pour apaiser la situation, vous pouvez par exemple solliciter une sorte d’aparté auprès des clients. En d’autres termes, vous interrompez les échanges, vous laissez les parties reprendre leurs esprits puis vous reprenez la balle au bond comme en basket-ball. C’est une technique très efficace qui contribue grandement à apaiser les relations.
Pour résumer, pour caractériser un « bon médiateur notaire », nous pourrions retenir le triptyque empathie, neutralité et impartialité.
Comment s’inscrit le développement de la médiation en France par rapport aux autres pays ?
M.G. : La médiation française s’est largement inspirée des modes de résolution alternatifs des différends (MARD), qui existent depuis de longues années au Québec et, de façon plus générale, au Canada.
Actuellement, c’est le notariat français qui essaime son savoir-faire en médiation, particulièrement en Asie. En tant qu’ambassadeur de la médiation, j’ai personnellement fait des déplacements au Cambodge, au Vietnam, en Chine, en Mongolie et au Kazakhstan. Je peux vous affirmer que nous avons une grande influence en Asie sur cette question.
Nous participons également au développement de la médiation en Europe, grâce à l’union européenne des médiations. Je collabore fréquemment avec Fabrice Vert, premier vice-président du tribunal judiciaire de Paris et vice-président du groupement européen des magistrats pour la médiation section France. Nous menons un travail intensif à l’échelle européenne. Il est en effet essentiel de ne pas se limiter à notre pré-carré français et de s’ouvrir aux autres pays. En effet, plus nous nous serons nombreux à nous engager dans le développement de la médiation et plus la dynamique d’ensemble fera boule de neige.
C’est justement l’objectif des congrès internationaux de médiation dont le dernier s’est déroulé en mars à Angers et des colloques régulièrement organisés par les institutions et les universités. Ces évènements favorisent une collaboration plus étroite entre les différentes professions judiciaires afin de promouvoir le développement de la médiation au sein de notre la communauté.
Enfin, je pense qu’il serait bénéfique de renforcer notre présence médiatique afin de faire connaître la médiation et d’en valoriser les avantages auprès du grand public.
Pour conclure, selon vous, tous les notaires ont-ils vocation à terme à devenir médiateurs ?
M.G. : Je ne crois pas qu’il existe encore des obstacles au développement de la médiation dans notre profession. En effet, dans la vie, il suffit de porter un réel intérêt aux choses et s’y investir. Il y a sept ans, je ne connaissais pas la médiation. Ce sujet a progressivement éveillé mon intérêt. Ensuite, lorsqu’un domaine vous intéresse, vous vous y investissez à fond.
Il me semble aussi essentiel, surtout pour l’avenir, que les notaires adoptent des réflexes qui privilégient avant tout les besoins de leurs clients. Ainsi, lorsque vous portez d’abord votre attention sur les autres avant de vous préoccuper de vos propres problématiques, cela vous revient en positif de manière décuplée.
À l’heure actuelle, la médiation se déploie dans tous les pans de la société et dans toutes les professions. Ainsi, je suggère fortement à nos confrères de prendre le train en marche dès à présent.
Propos recueillis par Axel Masson
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)