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Foncier innovant : entre mythes de l'IA et réalités du terrain

Foncier innovant : entre mythes de l’IA et réalités du terrain

Le recours à l’intelligence artificielle afin de lutter contre la fraude fiscale n’est pas un phénomène nouveau. C’est particulièrement vrai en matière de détection des constructions non déclarées et de mise à jour du plan cadastral. Cela étant, la généralisation, après expérimentation, du projet « Foncier innovant » n’est pas sans susciter des inquiétudes sur la fiabilité des données et sur les activités des géomètres. Profitons d’une réponse ministérielle de juin 2023 pour faire un point sur le sujet.

En 2022, 52,36% des contrôles fiscaux ont été privilégiés grâce au recours à l’intelligence artificielle (IA) et à l’exploration de données (data mining). C’est près de dix points de plus qu’en 2021 (44,85%) et vingt de plus qu’en 2020 (32,49%). Une utilisation croissante depuis 2014, amorcée notamment avec le projet d’exploitation des données Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR) [1] et portée par la volonté de la DGFiP « d’étendre les outils fondés sur l’intelligence artificielle ».

Le « Foncier innovant » : qu’est-ce que c’est ?

Pour lutter contre les irrégularités de déclaration du bâti, la DGFiP a lancé le projet Foncier innovant. Ce dernier fait appel aux technologies novatrices d’intelligence artificielle et de valorisation des données à partir des prises de vue aériennes de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) [2].

Le projet, conduit par la DGFiP avec Capgemini et Google [3], vise :

  • à valoriser les données foncières en ayant recours à l’intelligence artificielle ;
  • à automatiser la mise à jour du plan cadastral.
    Plus précisément, à travers ce dispositif, l’Administration fiscale poursuit plusieurs objectifs :
  • d’ordre fiscal :
    • lutter encore plus efficacement contre les anomalies déclaratives et répondre ainsi, par une imposition juste des biens, « aux souhaits d’équité et de justice fiscale des citoyens » ;
    • garantir une meilleure fiabilité des bases de la fiscalité directe locale ;
  • d’ordre "cadastral" :
    • faciliter la représentation sur le plan cadastral des bâtiments et des piscines en s’appuyant sur des prises de vues aériennes ;
    • répondre aux attentes des communes sur la détection de biens imposables et sur la justesse du plan cadastral.

À lire sur le sujet :

L’expérimentation dans neufs départements ayant été concluante [4], la démarche a été étendue à tout le territoire.
Cela étant, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre du foncier innovant, qui sera étendu à tous les biens bâtis non déclarés, n’est pas sans poser des difficultés. C’est précisément sur ces sujets que la sénatrice Nathalie DELATTRE (Gironde-RDSE) a interpellé Bercy [5].

Projet « Foncier innovant » : des problématiques de mise en œuvre

Sur la protection des données

L’exploitation des prises de vues aériennes et de l’ensemble des données recueillies est confrontée à sa nécessaire conciliation avec les impératifs de la protection des données personnelles et du droit à la vie privée. Des inquiétudes d’ailleurs soulignées par le Conseil d’État en 2022 [6]. Nous n’y reviendrons pas plus longuement.

On notera toutefois l’indication, par le ministre de l’Économie, que la DGFIP, en tant que pilote du dispositif, garantit la confidentialité des données, qui ne sont absolument pas accessibles aux partenaires privés (Capgemini et Google).
Ces derniers n’interviennent en effet que sur les cartes IGN qui sont déjà publiques. En outre, seules les images aériennes publiques de l’IGN, à l’exclusion de toute autre source d’imagerie, font l’objet d’un traitement sur un cloud public [7].

Au-delà de ces problématiques juridiques, deux questions se posent particulièrement : celle de l’utilité du dispositif au regard de son actuelle fiabilité pour la mise à jour du plan cadastral et celle de son impact sur l’activité des géomètres-experts.

Sur la mise à jour du plan cadastral

Les images aériennes de l’IGN sur lesquelles se basent l’IA pour mettre à jour automatiquement le plan cadastral sont loin d’être précises. Par ailleurs, il existe des différences géométriques importantes entre les levées cadastrales réalisées au sol et les représentations obtenues par images aériennes. De ce fait, la représentation du plan cadastral perd en qualité.

Problèmes de formes des bâtis vus du ciel, de représentation des débords de toits, de rectification des bâtiments de grande hauteur, de positionnement sur les parcelles, etc. dégradent significativement la qualité du plan et posent ainsi des difficultés pour les utilisateurs.
Y sont notamment confrontés :

  • les collectivités territoriales qui ont besoin d’un plan juste, actualisé et fiable ;
  • les géomètres-experts qui s’appuient sur la précision du plan pour leurs travaux de bornage et délimitation ;
  • les notaires, les services immobiliers, les opérateurs économiques, les propriétaires qui ont besoin d’une représentation du cadastre la plus à jour possible.

En ce qui concerne la tenue à jour du plan cadastral et la consolidation de sa qualité, le ministre de l’Économique indique que la DGFiP poursuit les travaux menés par les géomètres du cadastre dans le cadre des chantiers de remaniement, qui permettent une géolocalisation plus précise des parcelles, et de la représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU) qui permet d’assurer le continuum géographique des feuilles du plan cadastral.

Il précise que la représentation graphique des bâtiments avec l’IA se fera sur le rythme triennal actuel de mise à disposition des prises de vues aériennes pour une récupération plus rapide de nouvelles données.

Il rappelle enfin que depuis novembre 2022, un service en ligne d’échanges avec les propriétaires ( tout en conservant des transmissions par voie papier pour les personnes ne disposant pas d’un accès à internet) a été mis en place. Les propriétaires peuvent ainsi déclarer en ligne, sur leur espace « gérer mes biens immobiliers » accessible depuis leur espace personnel du site impots.gouv.fr, l’achèvement des aménagements ou constructions de leurs locaux.

Sur l’impact pour les géomètres- experts

Le recours à l’IA pour mettre à jour le plan cadastral a des répercussions sur le travail des géomètres-cadastres et les garanties apportées par l’intervention des professionnels.

Comme le soulignait la Sénatrice auteur de la question, « un plan mis à jour de manière automatique engendrerait la perte d’expertise garantie par le géomètre du cadastre qui a une connaissance particulière du terrain communal. L’intelligence artificielle est un outil de travail précieux, mais il doit rester complémentaire et ne peut se substituer à une présence sur le terrain. »

L’IA entraînera des pertes d’emplois (géomètres, contrôleurs, etc). Le risque est réel : dans son plan d’investissement relatif au foncier innovant, la DGFiP vise clairement les économies en ressources, notamment humaines [8].
Dans sa réponse, le ministre de l’Économie le rappelle également : le recours aux images aériennes et à l’IA se justifient par leurs caractères moins coûteux, plus modernes et moins intrusifs pour assurer la mise à jour du plan.

Il est vrai que la représentation graphique des bâtiments sur le plan cadastral nécessitait jusqu’ici un déplacement sur le terrain contraignant, d’une part en termes administratif et environnemental et, d’autre part pour les propriétaires, qui doivent être présents lors des visites des géomètres du cadastre (préservation du droit au domicile).

Il n’en reste pas moins à craindre que la mission topographique de terrain et de proximité des géomètres du cadastre disparaisse petit à petit au profit d’une vision « tout numérique ». Or les prises de vue aériennes utilisées par l’IA ne sauraient égaler la qualité des relevés topographiques de terrain réalisés par les géomètres, qui voient leur champ d’intervention limité aux seules zones pour lesquelles la captation d’images ne permet pas de déterminer avec qualité la nature du bien détecté.

Ici encore, Bercy se veut rassurant et conforte l’expertise des géomètres-experts : leurs missions fiscales sont maintenues, tant en ce qui concerne la fiabilisation des bases d’impositions, que pour leurs travaux topographiques de mise en qualité du plan cadastral, selon des modalités enrichies et diversifiées.
Il en est de même pour la détection des biens non-déclarés, qui ne sera pas exemptée d’une intervention humaine : un agent de l’administration fiscale vérifie systématiquement chaque anomalie détectée avant toute opération de relance du propriétaire du bien et in fine de taxation.

Ici comme ailleurs, soyons rassurés : l’expertise humaine interviendra toujours en complément et en vérification de l’IA…


Notes :

[2Établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle des ministères chargés de l’écologie et de la forêt. Sa vocation est de produire et diffuser des données (open data) et des représentations (cartes en ligne et papier, géovisualisation) de référence relatives à la connaissance du territoire national et des forêts françaises ainsi qu’à leur évolution ; www.ign.fr/institut.

[3La société Capgemini assure notamment les rôles d’assistance à maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre via le marché de "l’intelligence de la donnée" de l’UGAP. Quant à la société Google, dans le cadre du marché des "services informatiques en nuage" de l’UGAP, elle fournit l’infrastructure cloud ainsi que ses services pour les prestations de développement des modèles d’intelligence artificielle qui s’appuient sur les briques technologiques que cette société a inventées et popularisées en les rendant open source (DGFiP, Expérimentation du Foncier innovant

[7Le recours à ce dernier est lié à la nécessité de bénéficier d’une puissance importante de lecture et calcul graphique

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