Une réforme née d’un constat d’échec
Afin de comprendre comment on est arrivé à faire du commissaire de justice un acteur clé dans le processus de service de protection du majeur vulnérable, il faut remonter dans le temps. En effet, le point de départ remonte à la loi de programmation du 23 mars 2019, qui a modifié notamment l’article 510 du Code civil. Ce texte a recentré la mesure de protection sur l’intérêt strict du majeur protégé, qu’il s’agisse de ses biens ou de sa personne. Avant cette loi, le dispositif de contrôle des comptes de gestion souffrait d’un profond dysfonctionnement : absence de normalisation, manque de contrôle effectif, greffes débordés et peu formés en comptabilité.
Les rapports de la Cour des comptes et du Défenseur des droits en 2016 avaient alors dressé un état des lieux préoccupant : contrôle aléatoire, pièces manquantes, responsabilités floues, et surtout, des milliers de majeurs laissés sans véritable garantie contre les abus. Le directeur de greffe était censé effectuer ce contrôle, souvent sans les moyens ni les compétences nécessaires. La réforme devenait urgente.
Une réponse législative et réglementaire structurée
Le nouveau dispositif ne se résume pas à la loi de 2019. Il s’est consolidé avec :
- Le décret du 2 juillet 2024, qui précise les modalités de contrôle dans le Code de procédure civile (notamment l’article 257-1) ;
- Deux arrêtés du 4 juillet 2024, l’un fixant le modèle de compte à contrôler, l’autre la rémunération des professionnels désignés ;
- La circulaire du 24 septembre 2024, qui explicite les nouvelles règles et recommande une application effective avant mars 2025.
Ce corpus a été pensé pour corriger les failles antérieures et garantir une protection effective des majeurs vulnérables, en s’appuyant sur des acteurs compétents et responsables.
Le commissaire de justice : un acteur clé de la nouvelle architecture
Le cœur du changement réside dans la possibilité, désormais encadrée, de confier le contrôle des comptes à un professionnel qualifié lorsque le patrimoine du majeur le justifie ou en l’absence d’un organe de tutelle. C’est dans ce cadre que les commissaires de justice prennent toute leur place. À noter que depuis le 1er avril 2024, les commissaires de justice peuvent se voir chargés d’un dossier par le juge des services de greffe judiciaire avant sa désignation :
« Le juge peut prévoir expressément que le personnel qualifié soit chargé de procéder au contrôle des compte de gestion établi avant sa désignation possible mais pour une période qui ne peut commencer qu’à partir 1er janvier 2024. En tout cas, les textes le permettent. Les commissaires de justice peuvent être désignés en 2025 pour procéder à des contrôles des comptes depuis des comptes établis depuis le 1er avril 2024 ». Flavie LE TALLEC, sous-directrice du droit civil à la Direction des affaires civiles et du sceau.
Considérés comme professionnels réputés compétents, aux côtés des notaires, commissaires aux comptes ou mandataires judiciaires à la protection des majeurs, ils sont désormais éligibles pour assurer ce contrôle sur décision du juge. Leur légitimité s’appuie sur leur expertise dans le recouvrement, l’exécution et le contentieux civil, mais aussi sur des expériences antérieures, notamment dans le contrôle des comptes pour les mineurs.
Une nouvelle organisation du contrôle : entre « déjudiciarisation » et professionnalisation
Le principe reste celui d’un contrôle exercé par les organes internes de la tutelle (subrogé tuteur ou conseil de famille). Mais dans les cas complexes, la réforme autorise une externalisation partielle, sur décision du juge. Cette forme de « déjudiciarisation » encadrée permet :
- D’alléger les greffes judiciaires ;
- De garantir une compétence technique dans le contrôle des flux financiers ;
- Et de renforcer la traçabilité des actes de gestion.
Le fondement juridique repose sur l’article 1993 du Code civil, qui impose à tout mandataire de rendre des comptes. Le commissaire de justice s’inscrit donc dans une logique de reddition transparente et de protection du patrimoine du majeur.
Des conditions d’accès encadrées et des listes locales
Pour exercer cette mission, le professionnel doit être inscrit sur une liste tenue par le parquet du tribunal judiciaire. Les conditions sont strictes : formation, moralité, expérience. Les commissaires de justice bénéficient d’une présomption de compétence et sont dispensés de fournir des justificatifs, à condition d’être inscrits.
Cependant, en l’absence de plateforme numérique dédiée, la constitution de ces listes reste manuelle, au niveau local. La circulaire du 24 septembre 2024 recommande que ces listes soient effectives avant la fin du premier trimestre 2025. D’ici là, le juge peut désigner un professionnel non inscrit, sous réserve de vérification. (à vérifier)
Des défis persistants à relever
Malgré ces avancées, plusieurs intervenants ont souligné que des obstacles structurels subsistent :
- Pas de plan comptable normalisé à l’échelle nationale : chaque logiciel ou mandataire applique ses propres standards, rendant les vérifications inégales ;
- Hétérogénéité des pratiques entre tribunaux, notamment sur les critères de vérification et la formation des intervenants ;
- Il n’y avait pas de plateforme numérique afin de centraliser et harmoniser les démarches pour les professionnels qui ont le droit d’effectuer une mission tel que le contrôle de compte de gestion jusqu’à la plateforme « Portail de la Justice » mais qui n’a pas fait l’unanimité. La nouvelle « CJ Tutelles » présentée lors du colloque a été crée afin de répondre à ce problème.
Une mission éthique et sociale renforcée
Au-delà des aspects juridiques et techniques, les échanges du colloque ont rappelé que le contrôle des comptes est un outil fondamental de la protection des majeurs. Si les mesures varient (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice), la protection du patrimoine reste un socle commun. Ce contrôle est indispensable pour garantir que les ressources d’un majeur ne soient ni détournées, ni mal gérées, mais utilisées dans son intérêt exclusif.
À retenir
La réforme portée depuis 2019 marque un tournant dans la protection des majeurs vulnérables. En y intégrant les commissaires de justice comme professionnels du contrôle, l’État confie une mission de confiance à des acteurs aguerris, capables d’assurer rigueur, traçabilité et transparence. Si des améliorations restent à mener, notamment sur la normalisation et la formation, ce colloque a montré que la profession est prête à relever ce défi, au nom d’une cause juste : celle de la dignité et de la sécurité des plus fragiles.
Pour consulter les différents textes en intégralité :
Christian-Olivier Kajabika
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)