Première brique du système technologique notarial, les logiciels de rédaction d’actes deviennent de plus en plus intelligents. En plus de faciliter grandement la tâche pour la rédaction initiale, ils fluidifient désormais toutes les modifications ultérieures opérées par les notaires sur telle ou telle clause, puisque le logiciel est en mesure de réaliser automatiquement l’ensemble des changements induits par ces modifications : « Si l’on créé, par exemple, un acte de vente en copropriété, explique Mickaël Partouche, responsable marketing chez Fiducial, et qu’une modification intervient sur la clause « mobilier », tout l’acte va être mis à jour – la répartition meuble/immeuble, les garanties prises par le notaire – tout en gardant une cohérence juridique permanente ».
Une deuxième nouveauté technologique qui se développe fortement grâce aux nombreux atouts qu’elle offre est l’espace numérique partagé. Celui-ci répond tant aux besoins des clients – suivi et visibilité du dossier – qu’à celui des notaires, qui ont confirmé dans l’enquête réalisée par le Journal du Village des Notaires l’importance de disposer d’un « partage facilité des informations avec le client », notamment pour la récupération des informations et des documents émanant de toutes les parties prenantes. « Ce service constitue un formidable outil de relation client », souligne Mickaël Partouche, et il est actuellement proposé par des fournisseurs de progiciel mais aussi par certaines legaltech. Cela est d’autant plus crucial que l’usage des plates-formes grand public pour le transfert des fichiers présentent des risques en termes de protection des données. Comme l’expliquait Etienne Michelez, président de Paris Notaires Services, lors du forum Technologies et Notariat organisé en 2017 par la Chambre interdépartementale des notaires de Paris : « Il faut bannir de notre pratique des outils tels que Dropbox ou Wetransfer qui ne sont pas sécurisés » et privilégier des outils « doté[s] d’un anti-virus analysant chaque fichier compressé ».
Dans la continuation de ces évolutions, la technologie permet désormais de laisser le logiciel construire le dossier à partir des informations fournies par toutes les parties prenantes. Sur la plate-forme Quai des Notaires, par exemple, « les formalités préalables sont effectuées automatiquement, explique Patrick Mc Namara, notaire et fondateur de Quai des Notaires, dès que les premiers renseignements sont saisis par les différentes parties prenantes, et le notaire et son équipe sont informés lors de tout nouvel apport de pièces ou documents, ainsi que lorsque le dossier est complété. L’ambition de Quai des Notaires est de devenir le site de référence d’accès aux notaires en ligne, afin de maintenir les notaires au cœur du dispositif en contrant une tendance à l’ubérisation qui ne serait pas positive ». Dès que deux parties trouvent un accord, elles disposent d’un espace où elles peuvent commencer à fournir les informations et les documents demandés pour leur démarche, et la plate-forme leur permet de contacter un notaire à choisir parmi l’ensemble de la profession, « puisque, sauf les notaires récemment nommés, tous les notaires sont référencés gratuitement sur Quai des Notaires », et le professionnel choisi peut ensuite accepter ou non le dossier.
Partenariats et interopérabilité
Au cœur de l’évolution de la profession, on trouve l’idée d’un écosystème technologique qui réunit l’ensemble des acteurs : des éditeurs juridiques, des legaltech ou des professions connexes comme les généalogistes. Là-dessus encore, le notariat fait la démonstration de sa plasticité et de sa capacité à appréhender ces nouvelles technologies de la bonne manière. L’association « Notaires conseils d’entreprise » (NCE) a ainsi noué un partenariat avec la jeune pousse Legalstart, spécialisée dans la rédaction automatique de documents pour les entreprises et les associations, allant ainsi à l’encontre d’une première approche par trop limitante qui verrait dans ces plates-formes en ligne des concurrents directs. Alors président de NCE, Jean-Paul Mattéi expliquait : « avec Legalstart.fr, nous disposons d’un outil très pédagogique tout à fait compatible avec notre activité ». Dans le même esprit, le Conseil Supérieur du Notariat a créé un groupe de travail qui réunit les éditeurs de logiciels et les legaltech pour établir une norme d’échange, afin, par exemple, qu’une démarche entamée sur une plate-forme numérique puisse être transmise dans des conditions optimales sur un progiciel. De leur côté, les éditeurs de logiciels souhaitent se situer au cœur de cet écosystème, « à la manière dont l’Iphone fonctionne avec des applications qui viennent améliorer ses usages, indique Mickaël Partouche, notre logiciel de rédaction d’actes a fait le choix de s’ouvrir en s’interfaçant avec tous les services existants ».
Ces services qui vous facilitent le travail
La prise de rendez-vous en ligne
Neonotario offre un système de prise de rendez-vous pour les notaires qui acceptent de partager leurs disponibilités sur la plate-forme. Le site fonctionne donc exactement comme un Doctissimo des notaires, et l’idée est d’ailleurs tellement judicieuse que le CSN souhaite prochainement proposer un système de prise de rendez-vous pour l’ensemble de la profession. La plate-forme Neonotario conserve néanmoins une plus-value sur l’organisation de rendez-vous collectif, « notamment lors d’héritages, de donations, de divorces,... qui peuvent concerner plus de 10 personnes à réunir, car l’organisation de ce type de rendez-vous est toujours compliquée et chronophage, et NeoNotario permet de réduire jusqu’à 80% leur temps d’organisation ». Elle envisage de surcroît de se diversifier en proposant « de centraliser des documents pour la réalisation des actes, de les rendre accessible en ligne pour les clients, mais aussi d’automatiser les compromis et actes authentiques, ainsi que leur signature électronique, ou encore de faciliter la digitalisation de tous les actes ».
La visiosignature
Quai des Notaires a développé une solution de visiosignature certifiée conforme au niveau de « signature avancée » du règlement eIDAS, qui permet aux notaires de faire signer à distance des procurations et des actes sous seing privé : « alors que mon cabinet est en Bourgogne, explique Patrick McNamara, j’ai récemment fait signer une procuration à une personne à Chartres, à l’issue d’un rendez-vous d’une heure durant lequel j’ai donné lecture de l’acte et l’ai l’expliqué ». La solution est actuellement en cours d’obtention du niveau 3 de certification, dit de « signature électronique qualifiée », qui correspond au niveau de sécurité le plus élevé du Règlement e-IDAS.
Que se passe-t-il ailleurs en Europe ?
En Espagne, les déclarations de soupçon en matière de blanchiment de capitaux sont en grande partie réalisées par un outil d’analyse prédictive. Si les notaires sont encore acteurs dans l’identification des cas litigieux, « tout est fait pour que l’on ne sache pas si la déclaration émane de l’intelligence artificielle ou d’un notaire » [1].
En Ukraine, une acquisition immobilière a été réalisée en 2017 à travers une blockchain. Si certains éléments sont évidemment nouveaux – déploiement d’un smart contract sur une application spécialisée, paiement en cryptomonnaie et signature de l’acte final enregistrée sur la blockchain – le notaire y joue un rôle aussi central que dans toute autre vente puisqu’il effectue toutes les vérifications nécessaires sur les conditions de propriété et de transfert puis valide la transaction auprès du registre officiel.
En Estonie, paradis des innovations numériques, il est possible de faire valoir devant le tribunal un contrat commercial noué sur la blockchain, ce qui est rendu possible grâce à une carte d’identité numérique qui centralise toutes les informations et que l’on connecte sur un ordinateur à l’aide de deux séries de codes secrets pour, notamment, réaliser des signatures électroniques.
Jordan Belgrave
Article initialement publié dans le Journal du Village des Notaires n°72
Notes :
[1] « Intelligence artificielle et nouvelles technologies : que font nos voisins européens ? », Laurence Leguil, La Semaine Juridique 24