« La crise du logement qui couve aura de dures répercussions sociales », prévient Marie-Hélène Le Nedic, la présidente de la Fondation Abbé Pierre (FAP) qui signe la préface du 29e rapport annuel de l’organisation, un document de 338 pages rendu public le 1er février 2024. « Cet avertissement, dont les signaux paraissaient pourtant clairs, a été ignoré », déplore-t-elle. Le jour même de la célébration des 70 ans de l’appel de l’Abbé Pierre, la fondation de solidarité somme le gouvernement d’agir, lui reprochant un « attentisme », voire un « déni », « comme s’il sous-estimait l’ampleur des besoins en logements ».
La situation se dégrade
« La bombe sociale du logement est en train d’exploser sous nos yeux, sans que le gouvernement n’en mesure la gravité », alerte la FAP, préoccupée par « une accélération très inquiétante de la crise » à l’appui de ses données qui démontrent « une dégradation de la situation ». En France, la crise du mal-logement affecte près de 15 millions (M) de personnes en 2023. 4,2 M sont mal logées et plus de 10 M sont touchées « à des degrés divers » (impayés de loyers ou de charges, surpeuplement modéré, situations d’efforts financiers excessifs ou précarité énergétique).
Des chiffres éloquents
« En 2022, 17 500 ménages, soit près de 38 000 personnes, ont été expulsées de leur logement par les forces de l’ordre », constate la FAP, redoutant que ce chiffre record, « en hausse de plus de 130 % en 20 ans », n’augmente encore en 2023.
Pour des raisons liées à la précarité, 26 % des ménages (soit plus de 3,55 M de personnes) ont eu froid à leur domicile l’an passé, contre 14 % en 2020. Les interventions pour impayés d’électricité ont elles aussi bondi : 767 000 en 2022, contre 553 000 en 2019.
2 800 mineurs à la rue
Le nombre des sans-domicile (SDF, personnes logées à l’hôtel, dans des abris de fortune ou en hébergement « contraint » chez des tiers) est estimé à 330 000 en 2023, contre 143 000 en 2012. La FAP s’alarme par ailleurs que « plus de 8 300 personnes, dont 2 800 mineurs » ont été, à l’automne dernier, refusées chaque soir par le 115 faute de places d’hébergement d’urgence disponibles.
L’accès aux HLM en chute libre
Les demandes de logement social sur l’ensemble du territoire sont au plus haut, avec 2,6 M de ménages inscrits sur des listes d’attente, contre 2 M en 2017. « Ceux qui disposent de 500 euros par mois voient leur taux de succès baisser de 22 % en 2017 à 12 % en 2022 », constate la Fondation, très critique quant au projet du gouvernement d’intégrer des logements locatifs intermédiaires (destinés aux classes moyennes, ndlr) dans les quotas de la loi SRU.
« Il n’y avait déjà pas assez de logements sociaux et là, on va donner l’opportunité à des maires qui ne veulent pas accueillir des pauvres sur leur territoire d’accueillir à la place des cadres », réagit vivement Manuel Domergue, le directeur des études de la FAP cité par Nice-Matin.
Un habitat « indigne »
D’après la Fondation, « on compterait au moins 600 000 logements indignes en France » dans les villes ouvrières frappées « par la désindustrialisation » et les centres anciens de villes moyennes touchées « par la déprise économique », là où « la dégradation du bâti est notamment liée à une perte d’attractivité du territoire ».
Le phénomène atteint d’abord les propriétaires-occupants « ancrés », qui sont « en grande partie des personnes âgées en milieu rural ou urbain et des actifs dont des agriculteurs contraints de rester dans des logements vétustes, voire dangereux ».
Viennent ensuite les « accédants en échec », souvent de jeunes ménages qui ont sous-évalué les coûts des travaux et/ou les charges d’entretien de leur logement. Ce sont encore des locataires « victimes de bailleurs indélicats » qui, « faute d’alternative, louent un logement dégradé, voire insalubre ».
Vous pouvez également retrouver cet article dans le numéro 102 du Journal du Village des Notaires.
Alain Baudin
pour la Rédaction du Journal du Village des Notaires