« La plupart des gens qui viennent nous voir, souligne Frédéric Théret, directeur du développement de la Fondation de France, sont sans descendants directs. Ils viennent nous voir pour organiser le plus grand don de leur vie, qui correspond souvent à l’ensemble des économies d’une vie. C’est véritablement le don ultime. »
Dans les cas où la fondation ne connaissait pas la personne, il arrive que certaines dispositions du testament peuvent manquer de précision – « charge à la fondation X de financer avec le produit de ce legs des projets en recherche médicale et en environnement », il revient alors à la structure philanthropique de réunir le plus d’information possible, notamment auprès des notaires, « qui sont souvent très liés à leur client », afin de mieux comprendre l’intention du testateur. Deuxième cas de figure, la personne s’est faite connaître auprès de la fondation, et le projet a été anticipé : « pour exemple, une femme est venue vers nous avec l’envie précise de soutenir des jeunes virtuoses au début de leur carrière, à ce moment précis où ils ont fini leurs études mais peuvent avoir des difficultés à vivre de leur art. Nous avons donc décidé avec elle de créer une fondation et un prix ». Pour atteindre un tel niveau de précision et de respect de l’intention, il est évident que la participation du donateur est indispensable : « c’est cette partie accompagnement qui est très précieuse, quand on a pu travailler le projet avec la personne ».
Afin que les dons matériels servent au mieux les projets des donateurs, les associations ont également développé en interne des compétences pour valoriser au mieux ce qu’elles reçoivent. « Nous avons intégré pour cela un service de gestion immobilière, pour vendre les biens issus des legs dans les meilleures conditions ». En cas de legs universel, il arrive en plus que des charges annexes soient confiées à la structure philanthropique : « bien des situations sont possibles, il peut nous être demandé de réaliser un monument funéraire, de reverser une partie de l’héritage à un proche, ou de procéder à la vente de biens aussi divers que des immeubles ou du bétail ».
Le rôle le plus fréquent du notaire consiste à aider son client à déterminer le destinataire de son intention philanthropique, car il arrive régulièrement que les personnes aient une idée de la cause sans avoir une idée du bénéficiaire. La solution la plus répandue consiste, comme l’ont indiqué de nombreux répondants à notre enquête sur le sujet, à fournir à leur client un guide des associations et des fondations. Mais le notaire peut également aider son client en fonction de ses connaissances et de ses expériences.
Si leur client vient les voir après avoir préconstruit le projet avec une association, le travail porte alors essentiellement sur la sécurisation juridique. Néanmoins, le conseil notarial doit être attentif à la nature de la structure bénéficiaire, notamment au regard de la somme en jeu : « il est, par exemple, préférable, selon Frédéric Théret, de ne pas léguer un très gros montant à une structure qui a 50 000 euros de budget annuel, ou bien à une structure qui vient de se créer ». D’une part, car il est préférable d’avoir du recul pour évaluer l’action de l’association, mais surtout, parce que le legs peut, en fonction de la longévité du donateur et des échéances du don, prendre des dizaines d’années à se réaliser, le notaire joue donc son rôle en « veillant à ce que la structure soit pérenne » et « à ce que sa taille soit proportionnelle au montant légué ». Pour garantir la pérennité du legs, le notaire peut notamment inviter son client à introduire, dans le cas où la structure disparaîtrait, une clause ou un second bénéficiaire potentiel pour sécuriser l’intention philanthropique.
Une autre contribution du notaire pourrait porter sur la répartition. Si faire de son vivant des petits dons réguliers et modestes à une dizaine d’associations peut être pertinent, il semble que, du point de vue de l’intérêt général comme de l’efficacité, il soit préférable de resserrer le nombre de bénéficiaires : « Nous avons eu l’année dernière un testament avec 17 bénéficiaires associatifs ; imaginez un héritage avec 17 enfants qui se le partagent. Quand les personnes veulent réaliser un objet philanthropique post mortem, elles souhaitent que leur action ait une certaine consistance, un certain impact, or la dissémination rend les dossiers plus compliqués et multiplie les intermédiaires ».
Quelles relations entre ces deux acteurs ?
Le premier aspect de cette relation consiste à mettre le donateur en contact avec l’autre partie si cela n’est pas déjà fait. Beaucoup de Français n’ont pas de notaire, n’osent pas aller en rencontrer un et vont d’abord voir une association pour discuter d’un projet de testament philanthropique, car il est sans doute plus facile d’aller voir une structure associative pour évoquer les aspects positifs d’un projet de don, plutôt que d’aller le formaliser chez un notaire. « Ce mois-ci, une donatrice me disait qu’elle mettrait son projet de legs à notre fondation sur un papier et qu’elle le rangerait dans la commode de sa chambre, où la femme de ménage le trouverait sûrement si elle décédait dans la nuit. J’ai dû m’y reprendre à trois fois pour la persuader qu’il serait plus raisonnable, puisque ses volontés étaient établies, d’aller les sécuriser chez un notaire ».
En sens inverse, les notaires prennent l’habitude d’inviter leur client à aller rencontrer la structure à laquelle ils souhaitent donner, ce afin de mieux en comprendre le fonctionnement. Il est tout à fait possible de les mettre en contact en appelant la responsable des dons et des legs, voire même, pour certains clients, d’aller au rendez-vous avec eux.
En guise de suivi, certaines structures associatives réalisent des comptes-rendus de l’usage des legs à destination des notaires. « Deux ans après le décès, indique Frédéric Théret, nous expliquons au notaire ce que nous avons financé, combien il reste. Cela nous semble essentiel. Je ne suis pas sûr que cela les intéresse toujours, car nous avons très peu de retours, mais puisque nous ne pouvons plus rendre compte au client, nous le faisons au notaire qui avait accompagné notre testateur ».
Donation et enjeux familiaux
Il arrive que des héritiers indirects s’estiment spoliés par des legs à des associations, parce qu’ils s’attendaient à être couchés sur le testament et réalisent qu’on leur a préféré une cause philanthropique. Mais, d’une part, c’est le droit de chaque testateur, et d’autre part, la contestation reste rare en raison de la valorisation de la démarche de générosité. Il arrive d’ailleurs que le don philanthropique serve à écarter un parent que l’on ne souhaite pas favoriser, soit qu’on en soit très éloigné, soit qu’on sache qu’il n’en a nul besoin, voire même qu’on l’en estime indigne : « une femme m’avait expliqué que le neveu de son mari s’était très mal comporté avec lui de son vivant, et elle aurait eu l’impression de trahir son mari si ce neveu avait hérité de quelque chose. Le testament est un moment où les gens veulent donner du sens, de bien des manières ».
Jordan Belgrave
Article initialement publié dans le Journal du Village des Notaires n°78