Bienvenue sur le site des Experts du patrimoine

Site de référence d’information juridique pour tout ce qui concerne les problématiques patrimoniales Notaires, professionnels de l’immobilier, de la gestion de patrimoine, de la banque, des finances et de l’assurance vous disent tout !

Nouveau !

Devenez auteur !

Retrouvez aussi l’actualité des legs et donations / rubrique associations

+ management des offices
Immobilier et Airbnb : la CJUE donne raison à la Ville de Paris

Immobilier et Airbnb : la CJUE donne raison à la Ville de Paris

Mardi 22 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu sa décision dans l’affaire qui oppose la Ville de Paris à deux loueurs en meublés touristiques. Celle-ci était très attendue par plusieurs métropoles européennes confrontées comme Paris à une pénurie de logements, et qui tentent de légiférer pour encadrer ce type de location et protéger l’habitat.

Les locations meublées touristiques sont régies par des réglementations locales prises en application de l’article 631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH). Celui-ci dispose, entre autres, que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article ».

L’affaire des locations meublées touristiques illégales.

Ainsi, l’activité de location meublée touristique ne peut être exercée dans un local à usage d’habitation qu’après obtention par le propriétaire d’une autorisation particulière fournie par les services de la mairie : l’autorisation de changement d’usage.

Selon l’article 631-7 du CCH, toute commune de plus de 200 000 habitants et de la couronne parisienne a la faculté de prendre des délibérations municipales visant à mettre en place un régime relatif aux autorisations de changement d’usage.

Ainsi, de nombreuses villes, à l’instar de Paris, Lyon ou encore Nice, se sont munies d’un arsenal règlementaire plus ou moins lourd afin de limiter l’expansion des locations meublées touristiques. Ces réglementations sont généralement justifiées par un besoin de protéger le marché immobilier « traditionnel » et de maintenir une offre de location suffisante. [1]

Pour rappel, les deux loueurs, condamnés le 19 mai 2017 en appel à 15 000 euros d’amende pour location sans autorisation d’un studio, avaient saisi la Cour de cassation qui, le 15 novembre 2018, transmettait à son tour à la CJUE une question préjudicielle sur la compatibilité de la règlementation française avec la directive européenne 2006-123 sur la libre prestation de services dans le marché intérieur.

Dans leur arrêt du 22 septembre, les juges européens déclarent la législation française conforme en tout point au droit de l’UE, estimant que la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d’intérêt général justifiant la règlementation d’un Etat membre. Pour justifier cela, ils remarquent « l’effet inflationniste sur les loyers » de l’activité de location de locaux meublés à courte durée. Le régime d’autorisation de la Ville de Paris est considéré par ailleurs comme étant « proportionné à l’objectif poursuivi, clair, objectif, non arbitraire et transparent. » [2]

La pénurie de logements dans le viseur.

L’Avocat général indiquait dans son avis que « lutter contre une pénurie de logements et chercher à garantir la disponibilité de logements suffisants (destinés à la location de longue durée) et abordables (en particulier dans les grandes villes), ainsi que la protection de l’environnement urbain, constituent des justifications valables pour l’établissement de régimes d’autorisation en général fondés sur une politique sociale ».

Par conséquent, l’Avocat général considérait que les conséquences des locations de courtes durées pouvaient justifier d’adopter des règles contraignantes sur un plan national.

Mais attention, il convient néanmoins d’évaluer la nécessité et la proportionnalité des moyens choisis face à l’objectif d’intérêt général qui est protégé. Le mécanisme de compensation semble d’ailleurs être particulièrement controversé. [3]

C’est précisément sur ce point que l’avis de l’Avocat général prenait une tournure intéressante, suivie par la CJUE dans sa décision, car s’il reconnaissait la potentielle légitimé de ce texte sur un plan national, il restait très critique sur des mesures locales qui peuvent être contraire au droit européen. Dans sa décision, la Cour considère que le mécanisme de compensation constitue « un instrument adéquat de poursuite de ces objectifs », mais « la juridiction nationale doit s’assurer que cette faculté s’avère adaptée à la situation du marché locatif local. » L’avocat des plaignants réagissait également à cette décision en soulignant que « La CJUE considère que notre droit est trop général. Elle indique qu’il faut vérifier que dans chaque commune au-delà de Paris et dans chaque arrondissement parisien, la compensation exigée est justifiée. » [4]

La prudence est donc de mise et contrairement à l’empressement de la Ville de Paris, Xavier Demeuzoy, avocat, rappelle que « si le dispositif national est conforme au droit de l’union, la Cour de justice invite la juridiction de renvoi à trancher l’examen de la conformité de chaque dispositif local avec la réglementation européenne. Or une lecture attentive de l’arrêt de la Cour de justice permet d’entrevoir de nombreuses conditions fixées par les juges européens dont il appartiendra à la juridiction nationale d’assurer le contrôle de conformité. » [5]

Protéger l’habitat.

Le Congrès des Notaires édition 2020 revenait dans son rapport notamment sur cette question des locations touristiques dans la partie consacrée à la « Protection de l’habitat et du patrimoine historique ». Les rédacteurs notaient ainsi que « depuis l’apparition d’internet et de l’économie du partage, il est devenu très aisé de trouver une chambre, un appartement ou une maison à louer pour quelques jours ou quelques semaines dans les villes les plus touristiques du monde. Mais cette explosion des sites de réservation (plus de 20 % de progression chaque année et même 35 % entre 2018 et 2019) [6] fait dire à certain que « l’économie du partage est devenue une économie de la prédation » [7] et que cette activité doit être réglementée pour en réduire les nuisances. »

Parmi ces nuisances, on note la disparition des logements consacrés à l’habitation pérenne : la ville de Paris estime qu’environ 20 000 logements ont disparu de la location traditionnelle au profit de cette activité [8]. La hausse des prix et des loyers dans les secteurs les plus touristiques écartant les habitants traditionnels est également une raison majeure de l’inquiétude des maires des villes concernées par ces réservations.

La perte d’identité de quartiers entiers est également pointée du doigt. Les petits commerces et les artisans tendent à être remplacés par des boutiques de luxe ou des magasins de souvenirs. Les relations entre locataires de courte durée et résidents habituels présentent aussi des situations de friction au motif que les premiers souhaitent profiter de leur séjour alors que les seconds recherchent la tranquillité.

Un effet confinement : vers une meilleure situation locative à Paris ?

La galère du logement locatif à Paris est une histoire vieille comme le monde, et l’apparition des plateformes touristiques de location de meublé n’avait pas arrangé les choses, présentant pour certains une véritable opportunité financière…et pour beaucoup d’autres un cauchemar quand il s’agissait de se loger.

Néanmoins, depuis le déconfinement, et notamment depuis le mois de juin, les données semblent souligner une tendance inverse : le nombre de logements à louer explose, du fait des baisses conjuguées des propriétaires sur Airbnb notamment, des citadins et des loyers parfois.

« Entre les mois de juin et août, le site Se Loger a enregistré une hausse de 67% des annonces d’appartements meublés dans la capitale (60% de l’offre), et de +7% pour les appartements vides. » Les raisons sont nombreuses : d’abord, la crise du coronavirus a fait énormément baisser la fréquentation, et seulement 14 millions de voyageurs sont passés par la capitale, ce qui a beaucoup fragilisé l’activité d’Airbnb, la plus connue et populaire des plateformes touristiques de location. [9] Par ailleurs, bon nombre de propriétaires de biens loués sur de courtes périodes ont basculé sur de la location de longue durée, moins rentable certes mais surtout moins risquée. Cela tend à rééquilibrer le rapport de l’offre et de la demande au profit des locataires. Ensuite, on remarque depuis la rentrée de septembre une baisse de l’ordre de 23% des recherches de location à Paris. [10] Une situation que l’on peut aisément expliquer « par le ras-le-bol de nombreux Parisiens confinés sans balcons ou sans la possibilité de s’aérer. » D’autant que les prix d’acquisition du marché demeure très élevés et les envies et possibilités d’emprunter très basses, notamment en cette période d’incertitude économique et sanitaire. Ainsi, les rares candidats à la location parisienne devraient avoir plus d’opportunités.

L’exode urbain récemment mis en relief par un sondage Cadremploi pourrait-il également profiter aux candidats à la location parisienne ? En tous cas, il est une autre illustration du tournant que prend actuellement le marché. En effet, « les cadres de la région parisienne veulent, pour 84 % d’entre-eux, quitter la capitale. Mais il ne s’agit plus, comme cela a pu être le cas par le passé, d’un vœu pieu, puisque près d’un cadre sur 3 (32 %) est déjà engagé dans une recherche active, qu’il s’agisse de changer de métier ou d’attendre une mutation. » [11] Un effet de vase communicant qui permettrait de libérer des logements.

La Rédaction du Village des Notaires prolonge l’info :

La Cour de cassation, dans trois arrêts en date du 18 février 2021 a validé la règlementation de la Ville de Paris en matière de locations touristiques. Plus précisément, la juridiction estime le régime d’autorisation « justifié, proportionné, transparent, et accessible. »

Les sanctions à leur égard étaient suspendues depuis plus de deux ans, car elles étaient contestées devant la justice. Désormais, les propriétaires qui enfreignent la réglementation qui encadre la location de meublés touristiques s’exposent à une amende pouvant aller jusqu’à 50.000 euros. En ce moment, cela concerne près de 420 propriétaires parisiens. [12]

Simon Brenot pour la rédaction du Village des Notaires


Notes :

[2Locations touristiques illégales : la Cour de justice de l’UE donne raison à la Ville de Paris, Le Monde, 22 septembre 2020

[4Airbnb : la Mairie de Paris gagne une manche devant la justice européenne, Les Echos, 22 septembre 2020

[5Règlementation Airbnb à Paris : Pourquoi l’arrêt de la Cour de cassation sera décisif ? Par Xavier Demeuzoy, Village de la Justice, 24 septembre 2020

[68,5 millions de Français ont utilisé la plateforme de location touristique Airbnb entre juin et août 2019 selon le journal Le Parisien (4 sept. 2019)

[7I. Brossat, Airbnb, la ville ubérisée, éd. La Ville Brûle, sept. 2018.

[8I. Brossat, Airbnb, la ville ubérisée, préc., p. 48

[9Immobilier à Paris : le marché en forte hausse, Sortir à Paris, 21 septembre 2020

[10Immobilier à Paris : le marché en forte hausse, Sortir à Paris, 21 septembre 2020

[11Près de 9 cadres sur 10 veulent quitter Paris. Un exode professionnel ? France Soir, 27 août 2020

[12Location en Airbnb : la Cour de cassation tranche en faveur de la Ville de Paris, France Bleu, 18 février 2021

  • Immobilier et Airbnb : la CJUE donne raison à la Ville de Paris

Commenter cet article

Vous pouvez lancer ou suivre une discussion liée à cet article en cliquant et rédigeant votre commentaire. Votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé. Nous ne publions pas de commentaires diffamants, publicitaires ou agressant un autre intervenant.

A lire aussi dans la même rubrique :

Quel rôle pour le notaire en matière de constructions sauvages en zones agricoles, naturelles et forestières ?

Face à ce constat alarmant, le gouvernement s’est engagé dans la lutte contre l’artificialisation des sols. De ce fait, la loi climat et résilience du 22 août 2021 [1], a inscrit la lutte contre l’artificialisation des sols dans les principes généraux (...)

Lire la suite ...

Logement : 30 propositions (toujours) inspirantes pour les présidentielles

Si les questions liées à l’habitat ne sont pas complètement ignorées par les candidats à la présidentielle 2022 [12], il n’en reste pas moins que les propositions formulées ne sont, pour l’instant, pas à la hauteur des attentes. Comme le disent les (...)

Lire la suite ...

Expulsion de squatteurs : quelles sont les règles applicables ? Par Nejma Labidi, Avocat.

De nombreuses dispositions et procédures sont prévues afin de lutter contre ce phénomène, pénales, civiles, ou administratives, et font l’objet de réformes régulières, sans que la situation ne soit aujourd’hui satisfaisante afin de permettre aux (...)

Lire la suite ...

Le droit de l’urbanisme et la préoccupation environnementale. Par Chloé Ligonnet, Etudiante.

Le droit de l’environnement s’est développé très rapidement. Il impose une prise en compte des préoccupations environnementales. Cette obligation appartient d’une part aux contractants de droit privé, c’est le cas des propriétaires, d’autre part aux (...)

Lire la suite ...