Journal du Village des Notaires : Pouvez-vous nous présenter les principaux axes de la dernière convention de partenariat signée entre Généalogistes de France et le Conseil supérieur du Notariat ?
Cédric Dolain : Avant de parler de la convention, je voudrais rappeler à quel point les notaires sont les partenaires privilégiés des généalogistes. Ils font appel à nous et recherchent en ce sens des professionnels responsables, compétents et qui présentent toutes les garanties.
Notre profession de généalogiste n’est pas une profession réglementée. Elle s’est largement autorégulée au fil des années sous l’impulsion de Généalogistes de France, l’organisation nationale représentative des professionnels de la généalogie et qui fédère 95 % de l’activité.
Il y avait une nécessité pour nos deux professions de travailler à l’élaboration d’un nouveau texte puisque la précédente convention datait de 2015. La nouvelle convention a donné lieu à un important travail préparatoire des deux parties. Moderne et adapté à la réalité d’aujourd’hui, ce texte établit un cadre inédit pour protéger les héritiers, qui sont nos clients communs.
Généalogistes de France, je l’ai dit, fédère la quasi-totalité des généalogistes professionnels, sans toutefois tous les représenter. Il était essentiel que ce cadre, élaboré autour des garanties instaurées par Généalogistes de France, s’applique à l’ensemble de la profession.
Désormais, la nécessité pour le notaire qui sollicite un généalogiste non affilié à Généalogistes de France de lui faire signer, préalablement à tout mandat, un cahier des charges intégrant ces garanties, est une avancée considérable.
Cela constitue une sécurité tant pour le notaire même que pour ses clients. Je pense au contrôle annuel portant sur différents aspects tels que les obligations d’assurance, les compétences professionnelles, la médiation, le contrôle des fonds clients et l’obligation de disposer d’un compte séparé.
JVN : Concrètement, comment fonctionne la collaboration avec la profession notariale ?
C.D. : Nos rapports avec les notaires sont étroits et historiques.
C’est notamment le cas sur la question de l’éthique, qui est centrale. Comme les membres de Généalogistes de France, les notaires ont mené de nombreux travaux sur ce sujet. Il était nécessaire d’établir des garanties précises concernant les pratiques acceptables ou non, en gardant à l’esprit que l’intérêt du client doit rester prioritaire.
Il est essentiel de souligner tout l’intérêt du travail accompli ces vingt dernières années par Généalogistes de France. Nous avons contribué à bâtir une profession solide reposant sur des garanties permettant aux clients d’accorder leur confiance aux généalogistes ainsi qu’aux notaires qui nous mandatent.
Nous avons pris l’initiative il y a quelques années de faire nommer un médiateur pour notre secteur d’activité. La médiation permet en effet de résoudre un certain nombre de litiges. Concernant les problématiques liées à l’assurance responsabilité civile du généalogiste, peu abordées il y a vingt ans, elles font désormais partie intégrante de nos préoccupations et de celles de nos partenaires notaires. Il est aujourd’hui primordial d’informer chaque notaire de la portée réelle de la garantie assurantielle apportée par le généalogiste. À ce jour, tant la garantie financière que la responsabilité civile professionnelle offrent des niveaux de protection adaptés aux risques encourus.
JVN : La convention va fêter son premier anniversaire en septembre. Pouvez-vous d’ores-et-déjà en faire un premier bilan ?
C.D. : Dès sa mise en place avec le CSN, cette convention a été envisagée comme un cadre évolutif. Ainsi, une réunion se tiendra au moins une fois par an entre une délégation du CSN et des membres de Généalogistes de France afin d’évaluer la situation et d’identifier ce qui fonctionne et ce qui pourrait évoluer. La convention est établie pour une durée de trois ans. Ce délai apparaît pertinent, car il permettra d’effectuer un bilan approfondi, d’assurer une communication efficace et d’envisager le développement de nouvelles initiatives.
Le principal défi pour les notaires comme pour nous est de faire connaître cette convention du grand public. Le plus important pour nous est que les héritiers puissent être rassurés. En effet, quand vous êtes contacté par un généalogiste, la première réaction, légitime, peut être la crainte face à une situation qui, par définition, demeure inhabituelle et largement inconnue. Nous devons donc être en mesure de répondre à l’ensemble des questions posées par nos clients.
JVN : La famille sera à l’honneur du Congrès. Quelle vision en avez-vous ?
C.D. : La famille touche à nos principales préoccupations et constitue notre cœur de métier. De fait, nous avons une expertise sur la réalité de la famille ou plus globalement des familles d’aujourd’hui. La généalogie successorale a constaté depuis plusieurs décennies l’émergence des nouvelles formes familiales.
Tout d’abord, la majorité des couples choisissent désormais de ne plus se marier. Le lien conjugal tend à se contractualiser, traduisant une moindre volonté de s’engager dans une relation à vie avec le même partenaire. Alors que ce phénomène était autrefois considéré comme tabou, il est aujourd’hui largement accepté et assumé socialement.
Un autre aspect concerne l’internationalisation des familles. Actuellement, environ 25 % de nos dossiers présentent au moins un élément lié à des recherches effectuées à l’étranger ou qui ont une origine étrangère, en Europe, en Asie et dans d’autres parties du monde. Ces évolutions reflètent les changements concrets constatés au sein des familles françaises.
Le métier de généalogiste consiste, tout comme celui de notaire, à prendre en considération les parcours et choix individuels de manière holistique sans porter de jugement moral.
Nous appliquons les règles de la dévolution légale des biens pour que toutes les personnes concernées, quelle que soit leur situation, soient prises en compte et considérées.
JVN : Quelles sont les conséquences de cette évolution pour les généalogistes ?
C.D. : Nous avons noté, lors d’événements comme l’affaire de la succession Hallyday, l’attachement de nos concitoyens au principe de la réserve héréditaire. Parallèlement à l’évolution des modèles familiaux, l’égalité entre tous les enfants reste un principe fort au sein de notre société. On peine à imaginer qu’il puisse exister des distinctions entre un enfant adultérin et un enfant légitime. C’était pourtant encore le cas il y a peine 20 ans.
Notre mission consiste à retrouver tous les héritiers et à ce que personne ne soit lésé. Par-delà les évolutions sociétales, il y a des principes forts qui demeurent. C’est particulièrement vrai pour l’égalité. Or, précisément, nos missions répondent à ce besoin d’équité.
JVN : La loi sur la déshérence, dite Loi Eckert a dix ans. Quel bilan en faites-vous ?
C.D. : Je préfère pour ma part parler d’actifs non réclamés. Ces actifs peuvent être de nature très variée, allant des comptes bancaires aux contrats d’assurance-vie en passant par l’épargne salariale.
Les généalogistes ont toujours milité pour que cette question soit traitée en priorité par leurs soins, en raison de leur expertise dans ce domaine et du volume considérable de dossiers en attente. À l’époque de l’élaboration de la loi, il était nécessaire que les fonds détenus par les organismes financiers soient redistribués rapidement aux ayants droit, principalement les héritiers.
Il est indéniable que la loi Eckert a contribué à la diminution de l’encours des actifs non réclamés, sans toutefois y mettre un terme définitif. En effet, lorsque les recherches s’avèrent complexes ou que les organismes concernés ne sollicitent pas les interlocuteurs appropriés, les sommes sont automatiquement transférées à la Caisse des Dépôts, puis deviennent propriété de l’État. Les compagnies d’assurance vie ainsi que les institutions bancaires se conforment à la législation, mais leur implication sur ce sujet demeure limitée, à l’exception de démarches ponctuelles, telles que l’engagement de généalogistes ou d’enquêteurs privés pour effectuer ces recherches.
Selon nous, malgré ces avancées de la loi, les grands oubliés demeurent les bénéficiaires. On pourrait sans doute, dans les cas où les recherches restent vaines, imaginer qu’une liste soit constituée et que les généalogistes, comme dans le cas des successions vacantes, puissent s’auto-saisir de ces cas et retrouver éventuellement les véritables bénéficiaires.
Votre question me donne l’occasion de répondre aux nombreuses questions qui nous sont posées par les notaires ou les particuliers concernant les sollicitations de nouvelles structures qui se présentent comme généalogistes et proposent leurs services pour obtenir la restitution de ces sommes. Or, pour toute succession ouverte après 2007, un généalogiste doit nécessairement être missionné au sens de l’article 36 de loi du 23 juin 2006 pour contracter avec un particulier ou au sens de la loi Eckert. Il doit donc être porteur d’un mandat. S’autosaisir en consultant le site Ciclade, c’est agir hors du cadre fixé par la loi.
JVN : L’intelligence artificielle bouleverse l’exercice de nombreux métiers, qu’en est-il de votre profession ?
C.D. : Un bon généalogiste est avant tout une personne de terrain. Il est essentiel qu’il se rende sur place, là où s’est déroulée l’histoire d’une famille. Dans notre métier, l’œil et l’intuition humaine restent indispensables, surtout pour démêler les situations les plus complexes.
Tout en disant cela, l’intelligence artificielle est un outil formidable. La plupart des généalogistes s’en sont évidemment saisis parce qu’elle nous permet d’aller beaucoup plus vite, notamment lors de la lecture des sources de recherche, dans l’organisation quotidienne ou bien encore dans la relation client. Il faut effectivement que l’IA puisse servir d’abord et avant tout à nos clients. Il faut aussi rester vigilant sur la conservation des données et s’entourer des garanties suffisantes.
JVN : La proposition de loi sénatoriale Florennes de juin 2025 souhaite encadrer les tarifs des généalogistes. Quelle est votre position sur le sujet ?
C.D. : Sous l’impulsion de Généalogistes de France, la profession est dans une démarche d’amélioration continue. Nous traitons près de 20 000 dossiers par an et identifions environ 150 à 160 000 personnes chaque année. En parallèle, nous avons une centaine de réclamations par an auprès du médiateur de la consommation et une trentaine de contentieux qui vont devant les tribunaux. Les garde-fous sont nombreux et nous travaillons dans un cadre rigoureux qui a été construit au fil du temps et qui est amené à évoluer.
Il serait souhaitable que les discussions autour de la rémunération se déroulent dans un esprit de concertation. Il est en effet important de prendre en compte l’avis de l’ensemble des acteurs de terrain. Les autorités publiques nous ont toujours soutenu sur ces questions, notamment la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice.
Les pouvoirs publics connaissent nos mesures d’autorégulation, ce qui souligne l’importance de dialoguer avec les professionnels concernés ainsi qu’avec leurs représentants. Nous sommes pleinement disposés à progresser dans ce sens. Nous prenons en considération les avis de nos clients, notamment par le biais de la médiation et d’autres canaux.
Nous accordons une attention toute particulière à la question de la rémunération que vous soulevez dans votre question. Il convient toutefois de rappeler que le contrat de révélation est fondé sur la rencontre des volontés des deux parties. Tout héritier peut demander au généalogiste des explications sur les honoraires proposés, afin de comprendre leur justification et les éventuelles difficultés qu’il rencontre pour mener à bien sa mission.
Il est évidemment important que les héritiers puissent évaluer si cette démarche correspond effectivement à leurs attentes. Dans l’immense majorité des cas, il n’y a pas de difficulté majeure, à l’exception éventuelle de certaines difficultés de communication. L’essentiel est de garantir une prestation de qualité avec un professionnel fiable, tout en assurant les garanties nécessaires pour éviter d’éventuels litiges.
En outre, notre rémunération ne couvre pas toujours l’ensemble des frais encourus. L’économie de notre secteur d’activité repose sur un système de péréquation qui permet de compenser cette disparité. Les dossiers de révélation, qui représentent 20 % de notre activité, financent la prise en charge d’une majorité de dossiers pour lesquels notre intervention est tout aussi essentielle mais qui autrement ne serait pas réalisable. La profession réalise près de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel et redistribue plus d’un milliard d’euros, soit en vérifiant des dévolutions existantes mais incertaines ou soit en retrouvant des ayants droits inconnus. Cette activité permet aussi le paiement de droits de succession et de la fiscalité. Elle génère une économie, fait vivre des prestataires, des salariés et des collaborateurs. Il convient donc d’intégrer l’ensemble de ces éléments dans l’analyse du niveau des rémunérations dans la profession.
Enfin, régler rapidement et efficacement une succession présente un intérêt général. Par exemple, dans le foncier, un terrain à l’abandon peut être une source de problèmes pour le voisinage. Ainsi, retrouver rapidement les héritiers permet donc de résoudre ces difficultés plus efficacement, au bénéfice tant du voisinage que des clients héritiers. Et encore une fois, notre mission doit être profitable à nos clients qui sont les héritiers que nous retrouvons et/ou dont nous certifions les droits.
Vous pouvez également retrouver cet entretien en page 40 du Journal du Village des Notaires 109 spécial Congrès.
Propos recueillis par Axel Masson
Village des Notaires et du Patrimoine