Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Frédéric Espirat : Je me définis comme un expert-comptable patrimonial. J’ai en effet cette double casquette professionnelle depuis plus de 25 ans. Après avoir été conseiller en gestion de patrimoine entre 2000 et 2010, je suis revenu à l’expertise-comptable en 2012 pour notamment accompagner des confrères qui souhaitaient se développer dans le conseil patrimonial.
J’ai structuré une offre de coaching et de formation pour répondre à ces demandes.
Vous avez récemment pris la direction du Comité du conseil patrimonial du Conseil de l’ordre des Experts-comptables. Quels sont vos objectifs à la tête de cette instance ?
F. E. : Le Comité du conseil patrimonial est une instance de l’ordre des experts-comptables. Grâce à mon parcours professionnel, j’ai déjà eu l’opportunité de présider ce comité entre 2017 et 2020.
Damien Charrier, président du Conseil de l’ordre, m’a demandé en avril de reprendre les rênes du comité.
Notre première mission est d’accompagner les experts-comptables à structurer leur cabinet pour créer en leur sein ce que j’appelle le quatrième pôle, le pôle du conseil patrimonial. Les trois autres pôles correspondent à notre activité traditionnelle, à savoir le pôle comptabilité-gestion, le pôle social et le pôle juridique.
Le développement de l’activité de conseil patrimonial est structurant pour l’évolution des cabinets dans les dix prochaines années. En effet, l’avènement de la facturation électronique en 2026 va impacter l’activité des experts-comptables. Bien sûr, nous nous sommes déjà préparés à cette révolution, mais nous devons trouver de nouveaux relais de croissance pour pallier la future baisse de chiffre d’affaires en comptabilité.
Qui dit relais de croissance, dit nouvelle organisation et nouvelles méthodes de travail. Avec notre clientèle, composée de chefs d’entreprise, le conseil patrimonial est évidemment une piste à privilégier.
Pour développer cette nouvelle activité, le mode de fonctionnement des cabinets sera à repenser. En outre, les confrères devront travailler en réseau avec de nombreux experts.
La deuxième mission du comité est de créer et de faire vivre ce réseau pour favoriser les synergies.
Quels sont les enjeux pour les chefs d’entreprise ?
F. E. : Nous sommes de fait les partenaires privilégiés de nos clients chefs d’entreprise.
Jusqu’à présent, lorsque nous proposions des prestations en conseil patrimonial, nous nous cantonnions au patrimoine professionnel en conseillant par exemple la création de holdings ou la mise en place de dispositifs d’épargne salariale.
Aujourd’hui, nous nous intéressons de plus en plus au patrimoine privé. Vous savez que la famille évolue et que le nombre de familles recomposées est en plein essor. Sur ce point, les enjeux pour le chef d’entreprise sont nombreux.
De fait, les experts-comptables, sans être experts du Code civil, ont l’impérieuse nécessité d’être formés aux problématiques associés à la gestion du patrimoine privé.
Selon vous, le développement de cette activité de conseil passe-t-il par un nouveau flux d’embauches ?
F..E. : Les gérants de cabinet ne peuvent plus se contenter de recruter des spécialistes de la comptabilité, du social et du fiscal. Nous devons nous ouvrir vers des profils venant d’autres horizons.
Avant même de parler d’interprofessionnalité, les confrères auront besoin de nouvelles compétences en interne. Cela passe bien entendu par des embauches de personnel qualifié.
Selon mes estimations, 80 % des cabinets devront recruter avant dix ans pour développer ce quatrième pôle que nous appelons de nos vœux.
Dans un cabinet de vingt collaborateurs, gérant chacun 35 chefs d’entreprise, le pôle du conseil patrimonial devrait à terme employer un salarié à plein temps. Pour les cabinets plus petits, bien entendu, les ressources devront être mutualisées, par exemple via des plateformes dédiées.
En termes de profils, de plus en plus de cabinets embauchent de jeunes titulaires d’un diplôme de notaire. J’ai aussi croisé plusieurs avocats qui ont quitté leur barreau pour rejoindre des confrères.
Au-delà des ressources en interne, comment développer avec les autres professionnels du droit l’interprofessionnalité dans le conseil patrimonial ?
F. E. : L’interprofessionnalité est de fait très importante. Nous ne pouvons pas travailler seuls.
En effet, nous ne pouvons par exemple pas rédiger de contrats de mariage, d’actes de vente immobilier ou de cessions de fonds de commerce. De même, en cas de contentieux dans les relations d’affaires et les contrats commerciaux, ce sont les compétences des avocats qui seront nécessaires.
Nous avons de plus en plus de demandes relatives aux mandats de protection future à titre posthume et leurs conséquences sur l’entreprise. Vous voyez bien ici que la collaboration active avec les notaires, avec leurs connaissances du droit de la famille, est indispensable.
Comment se déroule la mission de conseil patrimonial et la collaboration avec les autres professionnels du droit ?
F. E. : Le conseil patrimonial est une mission accessoire du cabinet d’expertise comptable. Notre profession est réglementée et la majorité des demandes d’activité font partie des missions habituelles, mais l’expert-comptable peut avoir des missions directes de conseil patrimonial.
En termes de formalisme, nous devons nous conformer à l’ordonnance de 1945 en proposant une lettre de mission avec notre client chef d’entreprise. Sur le conseil patrimonial proprement dit, chaque cabinet est libre du contenu de la lettre, nous établissons un devis avec une valorisation généralement au temps passé.
Souvent les demandes de nos clients concernent des questions patrimoniales globales telles que le divorce et ses conséquences concrètes sur la marche de l’entreprise. En l’espèce, nous travaillons main dans la main avec nos partenaires avocats et notaires.
Bien entendu chaque professionnel sollicité fait sa note d’honoraires sur sa partie et la facture au client. Notre statut nous interdit d’intervenir en sous-traitance de nos autres partenaires libéraux.
N’allez-vous pas empiéter sur les plates-bandes des conseillers en gestion de patrimoine ?
F.E. : Ce n’est pas mon sentiment et je tiens à rassurer mes confrères CGP sur ce point. Nous n’allons nullement les remplacer !
Nous ne faisons en effet pas le même métier. Le conseil et la préconisation de produits sont des activités bien différentes et un expert-comptable ne peut pas vendre de produits. Notre statut nous l’interdit.
L’expert-comptable est d’abord et avant tout généraliste du patrimoine. Ce n’est pas un spécialiste du patrimoine.
Pour l’activité commerciale, certains cabinets ont créé des structures dédiées de conseil en gestion de patrimoine qui disposent des statuts réglementés (conseil en investissement financier et courtiers en assurance) pour construire des allocations d’actifs et vendre ensuite des produits financiers et contrats d’assurance.
Que vous inspire l’évolution du tissu entrepreneurial français ?
F.E. : À l’image de la population des chefs d’entreprise, notre profession est elle-même confrontée au vieillissement. La moyenne d’âge des experts-comptables atteint en effet 52 ans.
La question de la transmission est un enjeu majeur pour la pérennité des entreprises. Hélas, nous constatons que de trop nombreuses entreprises sont contraintes de baisser le rideau à cause de l’absence de repreneurs. Les transmissions familiales sont aussi de plus en plus rares. Par exemple, le pacte Dutreil représente moins de 7 % de l’ensemble des cessions d’entreprises.
Au sein de nos cabinets, nous observons une augmentation des demandes de nos clients concernant les mécanismes d’apport-cession et les créations de holdings. Ces structures sont conçues pour répondre à des objectifs de transmission et d’optimisation du patrimoine professionnel. Pour sécuriser ces montages complexes, nous avons bien entendu besoin de l’appui de nos partenaires notaires.
Propos recueillis par Axel Masson
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)