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COVID-19 : le locataire commercial loi Pinel, un locataire sous oxygène ? Par Cyrielle Baltzinger, Notaire.
Parution : mardi 21 avril 2020
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L’étude porte sur le droit de préférence du locataire commercial codifié à l’article L 145-46-1 du Code de commerce (également appelé par certains « droit de préemption ») et l’impact de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 sur les délais ouverts au locataire.

Aux termes de cet article, lorsque un propriétaire d’un local à usage commercial (ou artisanal) envisage de vendre celui-ci, il doit en informer le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement.

Cette notification vaut offre de vente au profit du locataire qui dispose d’un délai d’un mois à compter de sa réception pour se prononcer. Et si le locataire souhaite acquérir les locaux loués, il dispose alors, à compter de la date d’envoi de sa réponse au propriétaire, d’un délai de deux mois pour la réalisation de la vente (ou quatre mois s’il a recours à un prêt).

Nous pouvons nous demander si le temps imparti au locataire pour se positionner comme le temps imparti au locataire qui aurait notifié son intention d’acquérir pour acheter, bénéficient de la prorogation de délai de l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 (ci-après l’ « Ordonnance »).

En d’autres termes, depuis l’Ordonnance prise en suite de la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020, comment procéder à la purge du droit de préférence du locataire commercial loi Pinel ?

Il est ici rappelé, qu’aux termes de ses articles 4 et 22, la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 a décrété l’état d’urgence pour une durée de deux mois à compter de sa publication au Journal officiel, soit le 24 mars 2020. A la lecture de l’article 1er, la période juridiquement protégée s’achève un mois après la fin de l’état d’urgence. Elle court donc pour l’instant du 12 mars 2020 au 24 mai 2020 + un mois, soit du 12 mars 2020 jusqu’au 24 juin 2020 (ci-après la « Période de Protection »). Etant ici précisé que la date de cessation de l’état d’urgence est susceptible d’être reportée.

Sont concernés par les dispositions de l’Ordonnance, les délais qui expirent pendant la Période de Protection.

Ne sont donc pas concernés par les dispositions de l’Ordonnance :

Il est également rappelé que les délais contractuels stipulés aux termes d’une promesse de vente sous condition suspensive de la purge du droit de préférence du locataire commercial loi Pinel ne semblent pas non plus, à ce jour, concernés par les dispositions de l’Ordonnance. A ce sujet, la prudence commanderait d’envisager une prorogation des délais contractuels aux termes d’un avenant. Sur ce point il existe actuellement plusieurs interprétations.

Mais revenons au droit de préférence du locataire commercial loi PINEL, objet du présent article.

En l’état du droit positif actuel, ce qu’il y a lieu de retenir de la réglementation « à jour de ce jour », est que le délai d’exercice du droit de préférence du locataire commercial loi PINEL reste un cas incertain.

L’article 2 de l’Ordonnance indique que sont concernés tous les actes ou paiements imposés par une loi ou un règlement à peine d’une sanction quelconque.

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit. (…) »

L’article 1 de l’Ordonnance précise par extrait ce qui suit : « I. ‒ Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (…) ».

Par une première lecture, l’article 2 serait rédigé de manière suffisamment large pour pouvoir s’appliquer aux délais ouverts au locataire (ci-après l’ « Interprétation 1 »).

Toutefois, pour le temps imparti au locataire pour se positionner, est-ce que le délai est réellement sanctionné par la perte d’un droit ? La réponse n’est pas aussi limpide qu’il n’y paraît. Il s’agit de la possibilité d’acheter ou de ne pas acheter, et en l’occurrence de ne pas acquérir les locaux.

Il serait dès lors appréciable que le gouvernement chasse les doutes qui règnent à ce jour sur la lecture de l’article 2 de l’Ordonnance en incluant le cas échéant tout délai légal dans lequel peut être exercé un droit.

1) Le temps imparti au locataire pour se positionner.

Sous réserve que l’Interprétation 1 soit retenue, concernant le temps imparti au locataire pour se positionner, sont visés :

Le délai expirant pendant la Période de Protection suite à une notification réceptionnée par le locataire avant le 12 mars 2020,
Le délai expirant pendant la Période de Protection suite à une notification réceptionnée par le locataire entre le 12 mars 2020 et le 24 mai 2020.
Le locataire qui recevrait une notification après le 24 mai 2020 ne bénéficierait pas du régime dérogatoire dans la mesure où le délai d’un mois expirerait après la fin de la Période de Protection, soit à compter du 25 juin 2020.

Tableau récapitulatif
Réponse du locataireExpiration du délai de deux mois ou de quatre mois le cas échéantApplication de la prorogation de délai
Avant le 12 mars 2020 Avant le 12 mars 2020 Aucun régime dérogatoire
Avant le 12 mars 2020 Entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 Prorogation du délai de deux mois à compter du 24 juin 2020 soit jusqu’au 24 août 2020
Entre le 12 mars 2020 et le 24 avril 2020 Entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 Prorogation du délai de deux mois à compter du 24 juin 2020 soit jusqu’au 24 août 2020
Après le 24 avril 2020 Après le 24 juin 2020 Aucun régime dérogatoire

Exemple :
Réception de la notification par le locataire le 1er avril 2020.
Le délai d’un mois aurait dû expirer le 31 avril 2020.
En application des dispositions de l’article 2 de l’Ordonnance, le locataire pourrait se positionner jusqu’au 24 juillet 2020.

Conseil pratique :

Il reste possible :

Pour le propriétaire de notifier au locataire son intention de vendre les locaux loués pendant la Période de Protection. Certes le formalisme de l’article L 145-46-1 du Code de commerce est peut-être compliqué à mettre en œuvre pendant la période de confinement (lettre recommandée ou remise en main propre), mais il est néanmoins possible d’y substituer une signification par acte d’huissier (article 651 du Code de procédure civile), les études d’huissiers s’étant organisées pour la poursuite de leur activité. Etant ici précisé par ailleurs que sous certaines conditions, la lettre recommandée électronique peut être utilisée.
Pour le locataire de répondre dans le délai d’un mois prescrit par la loi.
Dans l’attente de plus d’informations, la prudence commanderait au praticien de recueillir dans ce cas une déclaration expresse du locataire par laquelle il indiquerait :

avoir été informé des dispositions de la loi du 23 mars 2020 et de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 et notamment de son article 2,
renoncer à bénéficier du délai supplémentaire ouvert par ladite ordonnance,
qu’il n’entend pas se porter acquéreur des locaux loués.
La précaution voudrait toutefois que le locataire y renonce une fois que le droit à un délai supplémentaire lui est acquis, c’est-à-dire après l’écoulement du délai initial d’un mois. Il reste en effet juridiquement peu concevable de renoncer à un droit qui n’est pas encore ouvert.

2) Le temps imparti au locataire pour acheter.

Concernant le temps imparti au locataire pour acheter, la perte d’un droit semblerait davantage caractérisée. En effet, à l’expiration du délai, l’article L 145-46-1 du Code de commerce mentionne expressément que « Si, à l’expiration de ce délai, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est sans effet. » L’expiration du délai entraînerait ainsi la perte d’un droit, celui d’acquérir les locaux.

Les hypothèses visées sont les suivantes :

Le locataire a fait connaître sa volonté d’acquérir les locaux loués avant le 12 mars 2020, et le délai de deux mois ou de quatre mois expire pendant la Période de Protection, soit avant le 24 juin 2020,
Le locataire fait connaître sa volonté d’acquérir pendant la Période de Protection et le délai de deux mois expire pendant la Période de Protection, soit avant le 24 juin 2020.
Le délai de deux mois ou de quatre mois qui expirerait après la fin de la Période de Protection, soit à compter du 25 juin 2020, ne bénéficierait d’aucun régime dérogatoire.

Tableau récapitulatif
Réponse du locataireExpiration du délai de deux mois ou de quatre mois le cas échéantApplication de la prorogation de délai
Avant le 12 mars 2020 Avant le 12 mars 2020 Aucun régime dérogatoire
Avant le 12 mars 2020 Entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 Prorogation du délai de deux mois à compter du 24 juin 2020 soit jusqu’au 24 août 2020
Entre le 12 mars 2020 et le 24 avril 2020 Entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 Prorogation du délai de deux mois à compter du 24 juin 2020 soit jusqu’au 24 août 2020
Après le 24 avril 2020 Après le 24 juin 2020 Aucun régime dérogatoire

Exemple :
Le locataire notifie sa volonté d’acquérir le 1er avril 2020.
Le délai deux mois aurait dû expirer le 31 mai 2020.
En application des dispositions de l’article 2 de l’Ordonnance, le locataire pourrait acquérir les locaux loués jusqu’au 24 août 2020.

Conseil pratique :

Rappelons que les dispositions de l’Ordonnance ne s’appliquent qu’aux délais expirant pendant la Période de Protection. Dès lors, pour les locataires dont le délai pour acheter expirerait peu de temps après le 24 juin 2020, il serait utile de convenir avec le propriétaire, d’une prorogation de délai.

Dans l’attente d’une nouvelle ordonnance ou de la loi de ratification, il est conseillé d’être vigilant sur les formalités de purge du droit de préférence du locataire commercial loi Pinel.

Il serait souhaitable que les textes prévoient expressément que le dispositif de l’article 2 de l’Ordonnance s’applique à tout délai légal dans lequel peut être exercé un droit, ou à défaut l’exclure.

Si l’on s’en tient à la l’esprit de la loi, appliquer les dispositions de l’article 2 de l’Ordonnance au droit de préférence du locataire commercial loi PINEL aboutirait très certainement au résultat recherché par les auteurs du texte. Il n’en demeure pas moins qu’à la date de ce jour, soit le 5 avril 2020, la question demeure.

D’ailleurs, ce droit de préférence n’est pas le seul à susciter quelques interrogations. C’est également le cas des droits de préemption des locataires prévus à l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 ainsi qu’à l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975.

Même si le suspense demeure, il reste tout de même fort à parier que le locataire commercial loi Pinel soit mis sous oxygène pendant cette période particulière.

Cyrielle BALTZINGER
Notaire à PARIS (8ème arr)
cyrielle.baltzinger chez lexfair.fr
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