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Interview de Pierre-Yves Sylvestre, président du 112ème Congrès des Notaires de France.
Parution : vendredi 24 juin 2016
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Cette année, le Congrès des notaires s’est attaqué au vaste sujet de la propriété. Un droit central de la pratique notariale, qui a subi des transformations au fil des réformes successives. Et il s’est « peu à peu écorné » d’après Pierre-Yves Sylvestre, président de cette 112ème édition.
Le Journal du Village des Notaires s’est entretenu avec lui pour en savoir plus sur l’état actuel du droit de propriété ... et son avenir.

Clarisse Andry : Pourquoi avoir choisi la propriété immobilière comme thème de ce 112ème Congrès des Notaires ?

Pierre-Yves Sylvestre : Je souhaitais d’abord choisir un thème pratique, qui soit au cœur de l’activité des notaires, afin que le Congrès remplisse, outre sa vocation de propositions d’évolution législative, sa vocation de formation. Les notaires trouveront des réponses à leurs problématiques quotidiennes et celles de leurs clients, qui sont très souvent en rapport avec le droit de propriété. Dans cet optique, la quatrième commission, en charge de l’optimisation de la propriété immobilière, travaillera d’ailleurs différemment. Elle exposera des cas pratiques afin de mettre en avant les pièges dans lesquels il ne faut pas tomber pour permettre à nos confrères de les déjouer. Le but est que le notaire construise des montages juridiques qui ne soient pas trop compliqués, afin qu’ils soient solides et pérennes.

Ensuite, les notaires ont toujours été bercés par les textes sur le droit de propriété, un droit très fort et qui s’affirme de manière absolue, dans la Constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou le Code civil. Mais à chaque évolution législative, nous constatons que ce droit absolu de propriété est peu à peu écorné. Il nous a donc semblé intéressant de réaliser un état des lieux.

C.A. : Vous parlez d’une « socialisation du droit de propriété » : qu’est-ce que cela signifie ?

P.-Y. S. : Avec cet amoncellement de réglementations, et notamment toutes les réglementations qui visent à la protection de l’occupant, nous trouvons que l’Etat, dans son souci bien légitime d’assurer le logement pour tous, transfère sa responsabilité vers le propriétaire privé.
Celui-ci se retrouve alors avec un certain nombre de contraintes, de plus en plus importantes, pour favoriser dans le cadre de l’intérêt général le logement pour tous.
Mais il faut se demander si nous ne sommes pas en train d’atteindre la limite de l’exercice.

C.A. : Quelles principales difficultés rencontrent actuellement les notaires sur le droit de propriété et quelles sont les réponses apportées par le Congrès ?

P.-Y. S. : Un certain nombre de nos problématiques sont d’abord liées à la détermination physique des limites de l’immeuble. Il s’agit notamment de la question du bornage, qui actuellement n’a pas d’effet translatif, et de celle de l’empiètement, très sévèrement puni même s’il est minime et de bonne foi. Nous souhaitons donc améliorer le système de bornage pour garantir la plus grande sécurisation possible de ces limites, et trouver des solutions alternatives pour ce type d’empiètement.
Nous nous interrogeons également sur le bien fondé de certains droits de préemption. Les législations successives surajoutent ce type de droit et créent une superposition finissant par nuire à la fluidité du dispositif. Les propriétaires sont perdus dans ce maquis du droit de préemption.

Un autre enjeu important est celui de l’empilement des réglementations relatives aux diagnostics techniques. Alors qu’ils servent, en principe, à déterminer si un logement est décent ou non, les critères de décence définis par les textes ne sont pas les critères retenus par les diagnostics techniques. Ce qui signifie qu’un logement peut avoir de bons diagnostics techniques et être indécent. Nous pensons donc qu’il faudrait harmoniser la réglementation sur les diagnostics techniques et celles sur le logement décent. Ce qui est complexe, car les critères du logement décent sont issus à la fois des règles générales et des règles imposées dans certaines communes par les règlements sanitaires départementaux. Il faudrait une grille de lecture plus simple.

C.A. : Le droit de propriété tel qu’il est conçu aujourd’hui doit-il évoluer ?

P.-Y. S. : Effectivement, les jeunes générations, face à la chèreté du logement, ont des difficultés à devenir propriétaires. Dans ce contexte, le droit de propriété ne devrait-il pas devenir moins absolu ? C’est une réflexion prospective, pour envisager un droit moins perpétuel, qui permettrait à quelqu’un d’acquérir que ce dont il a besoin.
Peut-être faudrait-il songer à un droit de propriété temporaire, comme l’a ouvert l’arrêt de la Cour de cassation sur la Maison de la poésie concernant le droit de jouissance spéciale. Ce serait une sorte d’ubérisation du droit de propriété : je ne veux acheter que ce dont j’ai besoin, et j’achète moins cher.

C.A. : La question du logement implique également la condition des locataires : avez-vous pris en compte leurs problématiques ?

P.-Y. S. : Les droits des locataires semblent assez bien protégés par la loi aujourd’hui. Mais la législation nuit également à l’occupant, car elle finit par décourager les opérateurs privés, qui risquent de se détourner de l’investissement locatif. L’effet de contrainte peut conduire à une baisse de l’offre, et c’est le danger principal.
Nous nous sommes également penchés sur une autre problématique : le fait que le glissement du logement vers les critères de l’indécence peut aussi venir de l’usage du locataire. Dans de telles situations, il serait souhaitable, tant dans l’intérêt du propriétaire que celui du locataire, qu’un contrôle de la décence du logement puisse se faire au cours du bail. Non seulement pour vérifier si le logement est bien entretenu, mais également pour que le propriétaire puisse s’assurer qu’il n’est pas en train de louer un logement indécent sans le savoir.

C.A. : Vous avez créé une chaine Youtube, avec notamment des vidéos humoristiques sur le thème de la propriété : pourquoi ce choix d’outil communication ?

P.-Y. S. : Cette année nous avons beaucoup ouvert notre communication sur les réseaux sociaux, en créant une page Facebook, un compte Twitter, et également une chaine Youtube. Une création 100% 112ème Congrès des Notaires ! Nous trouvions intéressant de communiquer de manière moins institutionnelle, en optant pour une communication plus décalée.
Ces vidéos ne sont pas destinées au grand public, mais ont pour but de faire sourire nos confrères. Les situations sont exagérées, mais ils peuvent y retrouver des expériences vécues, comme dans la vidéo qui présentent deux personnes qui veulent acheter un bien 50/50, alors que l’un ne finance rien et l’autre finance tout. C’est aussi à destination des jeunes notaires qui ne sont jamais venus au Congrès et qui peuvent en avoir une image trop institutionnelle et sérieuse.

Propos recueillis par Clarisse Andry
Rédaction du Village des Notaires