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Fiscalité immobilière : la nécessité d’apporter une preuve objective de la sortie du régime des marchands de biens pour amortir l’immeuble
Parution : mercredi 18 octobre 2023
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Un immeuble est considéré comptablement et fiscalement comme immobilisé lorsque ce dernier est affecté durablement à l’exploitation en vue d’en tirer des revenus. Dans cette situation, l’exploitant a l’intention de renoncer à aliéner son bien. Le fait que l’immeuble soit assimilé à un actif immobilisé ouvre la possibilité de procéder à des amortissements permettant de diminuer le résultat fiscal.

En revanche, lorsque l’exploitant décide que l’immeuble est destiné à être vendu et manifeste ainsi son intention spéculative, il y a lieu de l’inscrire en stock. Cette inscription en stock ferme logiquement la voie à la constatation d’amortissements.

La distinction de ces régimes étant liée à l’intention de l’exploitant, les divergences entre les contribuables et l’administration fiscale sont fréquentes. Tel est le cas dans la décision rendue par la cour administrative d’appel de Nancy le 16 mars 2023 (n°21NC00422 ).

Les faits

Dans cette affaire, une société civile immobilière ("SCI") assujettie à l’impôt sur les sociétés ("IS") avait un objet social lui permettant d’exercer à la fois l’activité de marchand de biens et l’exploitation par bail de biens immobiliers. Le 31 octobre 1996, la SCI a fait l’acquisition d’un immeuble à usage d’hôtel-restaurant assortie d’un engagement de revendre prévu à l’article 1115 du code général des impôts. Cette disposition permettait, dans sa rédaction alors en vigueur, l’exonération de droits d’enregistrement sous réserve de revendre ce bien dans un délai de quatre ans [1]. Notons sur ce point que depuis la réforme de la TVA immobilière de 2010, le législateur a banalisé l’engagement de revendre en l’ouvrant à tous les assujettis à la TVA. Ce faisant, il est désormais possible de bénéficier de ce régime alors même que l’immeuble n’est pas inscrit en stock [2].

L’immeuble a ensuite été donné à bail à une société commerciale chargée d’en assurer l’exploitation. La SCI a alors immobilisé l’immeuble à l’actif de son bilan et a procédé à des amortissements à compter de la date de l’acquisition du bien. Le 30 mai 2000, la SCI a envoyé une lettre à l’administration fiscale ne faisant pas état de l’abandon du projet de revente de l’immeuble, mais affirmant au contraire sa détermination à poursuivre l’exercice de la profession de marchand de biens et sa volonté de revendre l’immeuble avec profit.

Estimant que l’immeuble était toujours détenu dans une perspective de revente dans le cadre d’une activité de marchand de biens, l’administration a estimé qu’il y avait lieu de le comptabiliser comme un élément de stock. En conséquence, l’administration a remis en cause les amortissements pratiqués.

Le changement de destination de l’immeuble a finalement été admis par l’administration à compter de l’année 2012, en se fondant sur une décision de l’assemblée générale ordinaire des associés du 12 avril 2012.

La décision de la cour administrative d’appel de Nancy

Dans son jugement du 16 mars 2023, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le redressement opéré par l’administration fiscale en relevant que le courrier du 30 mai 2000 ne manifeste pas objectivement un changement d’affectation du bien.

En outre, la SCI n’invoquait pas suffisamment d’éléments de fait permettant de manifester objectivement le changement d’affectation de l’immeuble.

Les redressements opérés par l’administration fiscale ont par conséquent été validés par les juges.

Les enseignements peuvent être tirés de cet arrêt

Tout d’abord, cette décision est à mettre en lumière avec la jurisprudence en la matière du Conseil d’État affirmant que dans le cas où la société modifie son intention initiale de revente de l’immeuble, aucune décision expresse de ses organes statutaires compétents n’est nécessaire. Cette décision démontre que cet élément, bien que non nécessaire, demeure un outil efficace vis-à-vis de l’administration.

En second lieu, l’arrêt confirme un objet statutaire « ouvert » à l’exploitation durable de l’immeuble n’est pas un suffisant pour faciliter l’apport de la preuve du changement de destination.
Il s’agit enfin d’un rappel utile de la nécessité pour les opérateurs de prendre les devants pour se sécuriser en apportant des éléments objectifs de renonciation à l’intention spéculative.

[1Sur le rappel des règles applicables en la matière, voir https://www.bensaid-avocats.fr/fiscalite-immobiliere/droit-de-mutation-immobilier/

[2v. par ex. RM Grau, question n°7359, JO AN 10/07/2018, p. 6063