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FICOBA : vers une modernisation du fichier des données bancaires
Parution : vendredi 7 juillet 2023
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Bercy souhaite, sur la période 2020-2023, moderniser le Fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Ici comme ailleurs se pose la question de l’étendue des données à intégrer dans le fichier. Pourquoi une telle réforme ? Quelles sont les perspectives du projet FICOBA 3 ? À quoi devons-nous nous attendre dans un futur proche ? Faisons le point avec les réponses du ministre délégué auprès du ministre de l’Économie en séance publique au Sénat en mai 2023 [1].

Le FICOBA : ce mastodonte numérique géré par la DGFiP [2]

Crée en 1971 puis informatisé par un arrêté du 14 juin 1982, le FICOBA recense l’ensemble des comptes bancaires ouverts en France : comptes courants, comptes épargnes, comptes-titres…
Ce sont au total 800 millions de références de comptes –dont 300 millions de comptes actifs–, plus de 41 millions de consultations et 128 millions d’avis bancaires transmis par les banques. Des chiffres qui donnent le tournis !

Et pour cause : toutes les informations relatives à l’ouverture, la modification ou la clôture des comptes bancaires déclarées par les établissements bancaires et financiers [3] sont regroupées dans cet outil. Sans compter que les données sont conservées pendant toute l’ouverture du compte, ainsi que pendant les dix années qui suivent sa clôture [4].

Véritable outil au service de la lutte contre la fraude, FICOBA est accessible par l’Administration fiscale, la Sécurité sociale, les différentes institutions judiciaires, ainsi que par toutes les personnes bénéficiant d’une levée du secret professionnel fiscal (la liste ici), selon des modalités strictes prévues par les articles L. 103 et L.113 à L.166 du Livre des procédures fiscales.

FICOBA 3 : la nécessaire refonte du fichier

Par référé du Premier Président du 9 février 2022 [5], la Cour des comptes avait déjà souligné l’obsolescence du FICOBA. Elle pointait notamment la sous-utilisation du fichier par les organismes dans la lutte contre la fraude sociale, en raison des difficultés techniques depuis plus de dix ans, mais encore non résolues…

Outre l’amélioration technique et fonctionnelle du fichier (ergonomie, processus, fonctionnement), la réforme vise à tenir compte de deux problématiques :

Les objectifs du projet FICOBA 3 sont donc :

Or, sans sa forme actuelle, les opérations (débitrices ou créditrices) réalisées sur un compte et son solde ne sont pas déclarées par les établissements et ne sont donc pas enregistrées dans le FICOBA. Un problème lorsque les autorités compétentes (police judiciaire / services fiscaux) veulent obtenir plus d’informations en lien avec un dossier d’enquête, puisqu’elles doivent actuellement passer par une procédure de réquisition spécifique auprès des banques.

C’est précisément cette question de l’intégration et de l’accès direct à ces informations qui n’a pas manqué de faire réagir Gilbert ROGER, sénateur de Seine-Saint-Denis (Socialiste, écologiste et Républicain). Il a ainsi interpellé le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie sur les enjeux et les perspectives de ce projet en séance publique le 17 mai 2023 [7].

L’intégration des opérations sur les comptes bancaires dans le FICOBA

Quid de la protection des données personnelles ?

En tant que fichier automatisé traitant des données bancaires, l’intégration des opérations sur les comptes se trouve confrontée aux principes fondamentaux de la protection des données, qu’il s’agisse du droit à la vie privée ou, bien sûr, du RGPD et de la LIL.

Or, comme le souligne Gilbert ROGER, cette réforme s’est faite « dans une opacité telle que ni le Parlement, ni la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’ont été avertis de ces démarches, pourtant garantes des libertés publiques ».

Une absence de garantie de ces principes que n’avait pas manqué de souligner la Direction interministérielle du numérique (DINUM). Dans un avis rendu le 15 octobre 2021, sur saisine de la secrétaire générale du ministère de l’Économie, le directeur de la DINUM avait en effet émis un avis défavorable quant à l’intégration des opérations bancaires dans le fichier, au motif qu’une telle démarche ne répondait pas aux exigences juridiques :

« Le projet FICOBA 3 vise à intégrer les soldes de comptes bancaires et à terme les opérations effectuées sur ces comptes bancaires. Il s’agit d’une évolution fonctionnelle très significative de FICOBA, passant d’une gestion des données de référence statiques à une gestion des données dynamiques très sensibles. Néanmoins les cas d’usage de ces soldes et de ces opérations ne sont pas détaillés et leur conformité avec le cadre juridique actuel ne me paraissent pas suffisamment solides.  »

Les ajustements de Bercy

La nécessaire conformité d’une telle réforme du FICOBA au droit à la vie privée et au RGPD semble avoir été entendue.

Dans son cahier des charges en date du 2 juillet 2022, l’Administration ne fait plus mention d’une intégration des données relatives aux détail des opérations bancaires et de leurs soldes. Un léger "rétropédalage", confirmé par la réponse ministérielle qui nous occupe.

Le projet d’extension des données du fichier ne concernerait plus que « le solde des comptes à une date déterminée », à l’instar du Fichier national des contrats d’assurance vie (Ficovie) dont il s’inspire.

Exit, donc, l’intégration du détails des opérations bancaires réalisées par les particuliers ou les entreprises. C’est d’ailleurs, d’après le ministre, sur ce point que portaient les discussions menées en interne par l’Administration.
Avec un rappel du but de l’élargissement du périmètre de Ficoba aux soldes des comptes : lutter contre la fraude et non porter atteinte à la vie privée des français. D’ailleurs, Jean-Noël Barrot, ministre délégué au ministre de l’Économie, l’assure : l’inclusion de ces données bancaires dans le nouveau fichier FICOBA, ne se fera pas sans l’avis de la CNIL et l’intervention du Parlement. De quoi rassurer (un peu) sur le secret bancaire, dont on sait qu’il n’est pas comme dans d’autres Etats, une garantie constitutionnelle.

[2Direction Générale des Finances Publiques

[3Il s’agit d’une obligation déclarative pour ces établissements conformément à l’article 1649 A du code général des impôts.

[4Voir Art. 3, Arr. 14 juin 1982 qui précise les conditions de fonctionnement du fichier et les articles 164 FB et suivants de l’annexe 4 du Code général des impôts pour les conditions de déclaration et de consultation

[65ᵉ Directive AML (Directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018) renforçant les dispositifs en matière de LCB-FT au sein de l’Union Européenne et Directive 2019/1153 sur les échanges d’informations financières pour lutter contre certaines infractions pénales, transposée par l’ordonnance n° 2021-958 du 19 juillet 2021->https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043814012/].