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[118e Congrès des Notaires] « Avec la fiducie, il n’est pas question de défiscalisation, mais d’intérêt collectif »
Parution : jeudi 27 octobre 2022
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Le 118e Congrès des Notaires de France a cette année travaillé sur une proposition commune pour un essor de la fiducie. Il propose ainsi de permettre le recours à la fiducie libéralité, pour autant qu’elle ait été constituée par acte notarié. Nous avons voulu en savoir plus : Me Alexandre Thurel, notaire et Rapporteur général du Congrès, a répondu à nos questions sur ce point.

Le Congrès se positionne en faveur d’une utilisation plus soutenue de la fiducie, encore très peu utilisée aujourd’hui.
Quels en sont les avantages en termes de transmission du patrimoine ?

Alexandre Thurel : La fiducie reste en effet aujourd’hui embryonnaire au vu des derniers chiffres officiels dont on dispose (seuls les pouvoirs publics et Bercy y ont accès).
La fiducie a été montrée comme un « mouton à cinq pattes » parmi les outils de défiscalisation, à l’image du trust américain. Elle a donc été "verrouillée" de tout part dès sa promulgation, notamment avec l’affirmation qu’il ne peut y avoir de fiducie-libéralité, pour que l’on ne puisse pas transmettre un patrimoine d’affectation à ses enfants, car ce serait une fraude fiscale.

Or on a besoin de cette libéralité. C’est donc un premier verrou que l’on veut faire sauter : ce n’est pas parce que j’hérite d’un patrimoine fiduciaire que je suis exonéré de fiscalité. Donc pourquoi ne pourrais-je pas hériter des parts d’une société ou d’un patrimoine détenu dans une fiducie ?

Un deuxième verrou est celui de la fin de la fiducie avec la mort du constituant.
Je vais donner un exemple très concret : je suis intéressé pour faire une fiducie parce qu’il y a éventuellement un projet de dépollution d’un terrain. On veut faire une fiducie environnementale pour revitaliser les sols. Avec les projets du zéro artificialisation nette, il faut qu’on puisse rendre des sols à la construction.
Le problème, c’est que je crains de ne pas avoir les moyens suffisants à terme. Donc je bloque tout de suite une somme et je confie la mission à un fiduciaire qui va avoir pour but, avec l’argent que je lui ai donné, de dépolluer le terrain et de le remettre sur le marché à terme pour mon compte. J’évite ainsi toutes les problématiques de saisie, de faillite, etc.
Le problème est qu’aujourd’hui, ce type de contrat s’éteint à la mort du constituant. Ainsi, si la personne qui a mis en place sa fiducie gestion décède deux jours après, tout s’écroule parce qu’elle n’est pas transmissible.

Prenons un autre exemple concret.
Je suis chef d’entreprise et j’ai des enfants qui ont cinq ans. Si je meurs et si je veux faire en sorte que cette société soit maintenue sur le territoire français, que l’emploi soit préservé et donc qu’il y ait un maintien du tissu économique, je suis obligé de faire un mandat posthume.
Or le mandat posthume a cependant une durée maximale de cinq ans.
Conclusion : si mon enfant a cinq ans quand je décède, ce dernier a dix ans lorsque le mandat posthume s’arrête. On se retrouve alors face à un imbroglio total puisque l’enfant ne peut toujours pas gérer la société à son âge et la gestion du patrimoine entrepreneurial va nécessiter l’intervention d’un juge des tutelles, ce que je ne souhaitais pas initialement.
Si j’avais eu la possibilité de faire de la fiducie un outil de gestion-transmission, j’aurais très bien pu prévoir dans un testament que si je venais à décéder, le patrimoine sociétal serait transféré à une fiducie sous la gestion de telle et telle personne, en qualité de fiduciaire.
Il y aurait eu un maintien d’activité jusqu’au jour du 25 ou 30ᵉ anniversaire de mes héritiers par exemple (considérant qu’avant cet page, ils ne seront pas capables de gérer une société avec 150 salariés). Il ne s’agit pas de défiscalisation, mais d’intérêt collectif.

Le notaire pourrait devenir gestionnaire de fiducie ?

A. T. : Pourquoi pas les notaires ? Il faut savoir que lorsque la loi sur la fiducie a été mise en place, les notaires ont été sollicités pour être fiduciaires, et pour des raisons que j’ignore, cette mission a été refusée.

Il se trouve que la fiducie est aussi un acte très confidentiel. On en compte 208 signées entre 2007 à 2019, ce qui est très peu. Trop peu ! Cela d’abord parce qu’il y a des freins importants, mais aussi parce qu’il n’y a pas assez de fiduciaires potentiels, et très peu d’avocats s’y sont mis. Les banques, quant à elles, ne veulent pas tenir ce rôle, car il leur est compliqué en comptabilité de créer un patrimoine d’affectation. Les acteurs sont relativement peu nombreux et la mise en place des contrats de fiducie coûte cher en termes d’honoraires de conseil.

Le notariat a sa place, et tous les fiduciaires que l’on a rencontrés le considèrent, notamment en droit de la famille. La Caisse des Dépôts et Consignations, qui est un acteur fiduciaire important, ne va pas, à mon sens, accepter d’intervenir sur des contrats ayant pour but de protéger le patrimoine des familles. De grandes entreprises mettent en place des contrats de fiducie par exemple pour protéger les montants dédiés aux salariés dans le cadre d’un plan de licenciement. Pourquoi Monsieur ou Madame Tout le monde ne pourrait pas faire un contrat de fiducie sur sa PME et avoir un fiduciaire ?

Quoi de mieux que d’ouvrir la profession de fiduciaire à ceux qui ont la probité et l’expérience d’un certain nombre de choses en droit immobilier et en droit de la famille, en droit des sociétés, qui ont une mission de service public, à savoir aux notaires ? Cela diminuerait d’autant le tarif. On a également considéré que les acteurs liés aux problématiques de dépollution des sols, par exemple, puissent également être fiduciaires.

Comme ce que l’on connaît pour les autres spécialisations du notaire (gestion de patrimoine, médiation, arbitrage…), cela mérite une formation adaptée. On remarque que le sujet est de plus en plus évoqué. On se rend compte progressivement que cet objet juridique qui faisait peur, n’a finalement par tant de raisons d’être craint. Aujourd’hui, c’est un outil utile qu’il faut promouvoir parce qu’il y a un véritable besoin.

Cette proposition transversale a été adoptée à 85,9 %, les débats ayant fait ressortir qu’il ne pouvait y avoir meilleur fiduciaire que le notaire. La Rédaction vous livre l’ensemble des résultats des votes ici.

Propos recueillis par A. Dorange

Retrouvez le détail de la proposition évoquée en cliquant sur les images ci-dessous :

Retrouvez l’intégralité des propositions du 118e Congrès des Notaire de France ici.