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Successions entre la France et le Maghreb : un défi pour le notaire. Par Daniel Millerand, généalogiste successoral
Parution : mercredi 29 juin 2022
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Depuis la seconde moitié du 19e siècle, les mouvements migratoires entre les pays du Maghreb et la France ont considérablement augmenté. Ces flux de population ne sont pas sans conséquences dans le règlement des successions puisque le notaire, souvent assisté d’un généalogiste, doit retrouver des héritiers restés dans leur pays d’origine. Dans les faits, ces recherches s’avèrent particulièrement délicates puisque les héritiers désignés par notre loi successorale française ne sont pas les mêmes que ceux listés par la loi successorale musulmane.

Notoriété et partage : le notaire à l’épreuve du droit musulman

En droit français, le notaire dresse un acte de notoriété. Cette procédure répond à des règles très strictes et à des vérifications approfondies.

En droit musulman, l’acte de partage est appelé fredha (ou freda/frida). On peut le définir comme l’acte effectué par un adoul, notaire de droit musulman, dans le cadre d’une succession à la suite d’un décès. La succession obéit aux règles du code de la famille issu du droit musulman. C’est ainsi que pour hériter d’un musulman, il faut être musulman. Des plus, les enfants adoptés par kefala [1] n’ont aucun droit. Autre particularité : les femmes et les enfants naturels perçoivent des droits réduits.

Concernant la désignation des héritiers, les différences sont considérables entre nos deux législations. Reporter les bénéficiaires d’une fredha dans un acte de notoriété n’a donc aucune justification juridique. Cet acte de partage peut utilement renseigner sur la situation de la famille, mais son rôle se limite à cette information.

De plus, les conditions de rédaction de la fredha n’ont rien à voir avec le formalisme de l’acte de notoriété. La fredha est en effet rédigée sur la base des déclarations de deux témoins ayant bien connus le défunt. Certes, les héritiers déclarés doivent prouver leur qualité par la production d’actes d’état-civil, mais il n’en demeure pas moins que, dans les faits, de nombreux ayants droit sont « oubliés » dans les fredha. C’est ainsi que les tribunaux croulent sous les procédures en lien avec des conflits successoraux.

Si la fredha, document de partage basé sur le droit islamique, s’avère un excellent outil de renseignement pour le notaire français en charge d’une succession, elle ne peut donc constituer un outil juridique suffisant à la rédaction de l’acte de notoriété, et ce pour deux raisons :

Dans la pratique, il convient donc de vérifier avec beaucoup d’attention les éléments recueillis dans le cadre de la communication d’une fredha.

Illustrations pratiques de successions entre la France et le Maghreb

Deux exemples rencontrés en pratique illustrent parfaitement les problèmes précédemment évoqués :

Il est indéniable que la multiplication de ces successions franco-maghrébines complique la tâche du notaire français, d’autant qu’un état-civil parfois lacunaire, des dates de naissance incertaines ainsi que des transcriptions de patronymes erronées accentuent les difficultés.

Ces successions doivent donc faire l’objet d’une attention toute particulière et, si une fredha figure au dossier, le notaire français ne doit pas hésiter à prendre attache avec son confrère maghrébin pour se faire préciser les conditions de rédaction de l’acte de partage.

Daniel MILLERAND
Généalogiste successoral

[1Procédure d’adoption spécifique au droit musulman qui correspond à une tutelle sans filiation.